
Le Conseil Scientifique de la CONECT, en partenariat avec l’ASECTU, a organisé une table ronde intitulée « La nouvelle réglementation des chèques en Tunisie : impacts et perspectives ».
Cette rencontre a rassemblé économistes, chefs d’entreprise, représentants du secteur financier et acteurs de la fintech autour d’un sujet crucial pour l’avenir du système de paiement tunisien.
Entrée en vigueur en février 2025, la réforme vise à rétablir la vocation du chèque
 comme moyen de paiement immédiat, mettant fin à son usage comme outil de
 crédit ou de garantie. Dès les premiers mois, les effets de cette mesure se sont fait
 sentir : au premier trimestre 2025, le nombre de chèques traités a chuté de 62 %
 par rapport à la même période de 2024, tandis que leur valeur globale diminuait
 de 48,3 %. En parallèle, les pièces et billets en circulation ont progressé de 1,2
 milliard de dinars entre décembre 2024 et mai 2025.
Dans ce contexte, les données macroéconomiques du premier trimestre 2025 font
 apparaître un léger fléchissement de l’activité par rapport au quatrième trimestre
 2024. Cette baisse invite à s’interroger sur l’éventualité d’un effet de
 ralentissement lié, au moins partiellement, à l’ajustement induit par la réforme.
 Toutefois, cette hypothèse doit être abordée avec prudence. Bien qu’une
 modélisation fondée sur la poursuite des tendances antérieures suggérait un
 rythme de croissance légèrement plus soutenu (entre 1.8 à 2.4%), la conjoncture
 économique étant façonnée par une combinaison complexe de facteurs internes et
 externes, les données actuellement disponibles offrent des premiers éléments
 d’analyse, mais ne permettent pas encore d’en distinguer les effets spécifiques ni
 d’en apprécier pleinement les implications à moyen terme.
L’usage détourné du chèque en Tunisie – comme moyen de paiement différé,
 garantie ou crédit implicite – était devenu une réponse pragmatique aux difficultés
 d’accès au financement formel. Ce phénomène reflète des fragilités
 institutionnelles persistantes : complexité des procédures, exigences de garanties
 excessives, lenteurs administratives, et une faible diffusion des outils modernes
 d’évaluation du risque. Dans ce contexte, les banques appliquent des exigences
 de couverture atteignant jusqu’à 90 % des crédits accordés, ce qui limite
 l’inclusion financière et pousse nombre d’agents économiques vers des solutions
 informelles, peu traçables, voire risquées.
La réforme actuelle, si elle n’est pas accompagnée, risque de renforcer ces
 mécanismes d’exclusion.
Pour mieux cerner les premiers effets de la réforme, une enquête exploratoire a
 été menée par la CONECT auprès de 60 entreprises de tailles, secteurs et modèles
 d’activité variés. Si cet échantillon n’a pas vocation à être représentatif de
 l’ensemble du tissu économique, il permet néanmoins de dégager quelques
 tendances initiales. La majorité des répondants déclarent avoir ressenti un impact
 négatif à court terme sur leur chiffre d’affaires, leur trésorerie et leurs projets
 d’investissement. Les très petites entreprises et les structures en B2C ou en
 modèle mixte apparaissent comme les plus vulnérables. Toutefois, ces effets sont
 loin d’être homogènes : certaines entreprises, mieux outillées ou déjà engagées
 dans des pratiques plus formelles, s’adaptent plus rapidement. L’enquête révèle
 aussi une diversification progressive des modes de paiement, avec une montée en
 puissance des traites, des virements bancaires, et dans certains cas, des paiements
 en espèces. Une enquête plus complète, élargie et statistiquement représentative,
 sera menée d’ici la fin de l’année afin d’approfondir ces constats avec plus de
 recul.
La table ronde a mis en lumière une dynamique d’adaptation réelle, mais aussi
 une inquiétude largement partagée par les chefs d’entreprise. Tous ont exprimé
 leurs préoccupations quant aux effets immédiats de la réforme : baisse du chiffre
 d’affaires, perte de clientèle, tensions accrues sur la trésorerie, et prise de risque
 supplémentaire dans l’acceptation ou le refus de certaines ventes. À cela s’ajoute
 un sentiment d’incertitude face à l’absence, à ce stade, d’alternatives viables,
 fiables et largement accessibles. Malgré ces contraintes, plusieurs témoignages
 ont également fait état d’efforts concrets pour revoir les modes de facturation,
 formaliser les délais de paiement, investir dans des outils de gestion ou rechercher
 des mécanismes de sécurisation auprès de leurs partenaires bancaires.
Du côté des institutions financières, des signaux d’évolution commencent à
 émerger : volonté de simplifier certains processus, intérêt pour les solutions
 digitales et ouverture progressive à des modèles de scoring alternatifs. Les
 fintechs, quant Ă  elles, pourraient jouer un rĂ´le moteur dans cette transition, Ă 
 condition de lever les blocages actuels : absence de cadre juridique clair pour
 certaines innovations (comme le « Buy Now Pay Later »), accès restreint aux
 données de crédit, et contraintes réglementaires jugées peu favorables à
 l’expérimentation. La réussite de cette transformation dépendra donc de la
 capacité collective à bâtir un cadre légal plus agile, à améliorer la transparence
 des transactions, et à favoriser l’interopérabilité des données économiques.
La réforme du chèque peut devenir un levier de transformation positive, à
 condition d’être accompagnée de manière cohérente et inclusive. Elle offre
 l’opportunité de repenser les mécanismes de financement dans leur ensemble, de
 favoriser l’émergence de pratiques plus transparentes et responsables, et de
 stimuler l’innovation dans les moyens de paiement. Au-delà de l’enjeu technique,
 cette réforme ouvre également un espace pour un dialogue structuré entre
 entreprises, institutions financières et pouvoirs publics, afin de construire
 ensemble des solutions concrètes pour lever les barrières persistantes à l’accès au
 financement — un enjeu central pour l’amélioration du climat des affaires. La
 réussite de cette transition dépendra largement de la capacité à mettre en place un
 accompagnement renforcé, ainsi que des solutions numériques simples, fiables et
 accessibles à tous les acteurs économiques.
La CONECT et l’ASECTU remercient l’ensemble des participants à cette table
 ronde pour la qualité des échanges et leur engagement à faire de cette réforme une
 opportunité au service d’un écosystème financier plus inclusif, plus moderne et
 plus résilient.











