Zeineb Fakhfakh : «Impact Partner, Au service des startups et entreprises axées sur l’impact»

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Interview avec Zeineb Fakhfakh, Managing Directror à Impact Partner.

Impact Partner est une organisation à but non lucratif qui soutient des startups et des PME axées sur l’impact. Également connu sous le nom de Yunus Social Business Tunisia, Impact Partner est membre du réseau Yunus Social Business Global Initiatives (YSB), cofondé par le Pr. Muhammad Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix. Depuis le début de ses activités en 2014, Impact Partner n’a cessé de contribuer à l’écosystème entrepreneurial tunisien en propulsant plus de 100 porteurs de projets engagés sur des thématiques telles que l’employabilité, la justice sociale, l’équité des genres et le changement climatique. Avec une offre diversifiée et des bénéficiaires provenant des quatre coins de la Tunisie, Impact Partner est devenu un acteur incontournable, agissant en chœur avec les transformations qui muent la Tunisie de la nouvelle génération d’entrepreneurs à impact. Nous avons rencontré Zeineb Fakhfakh, Directrice exécutive, pour en savoir plus sur les activités d’Impact Partner et sur l’avenir de l’organisation. Entretien.

Un bref examen de vos canaux de communication nous a permis de constater que vous avez plusieurs programmes en cours en ce moment. Pouvez-vous nous parler des populations cibles de ces programmes et du soutien que vous leur apportez ? 

Il y a différents programmes implémentés par Impact Partner en parallèle. Les partenaires, les formats, les intervenants et les thématiques peuvent changer, mais la logique d’intervention est toujours la même. Notre intervention consiste à développer des programmes d’accompagnement et à octroyer du financement sous forme de dons, prêts sans intérêts et investissement en equity ou quasi-equity -à travers notre fonds Social Business Fund. Notre cible, quant à elle, peut varier en fonction des programmes mais nos bénéficiaires ont tous en commun le fait d’avoir un modèle d’impact positif au cœur de leurs entreprises.

Pour chaque programme, les thématiques, les critères de sélection, les stades de maturité et les objectifs sont différents, mais toujours avec des points communs notamment le profil de l’entrepreneur, son ambition et sa volonté de créer un changement. 

Nous visons des porteurs de projets qui ont un growth mindset et qui ont la volonté de convertir nos programmes d’accélération, d’accompagnement ou de financement en un statut de scale-up par rapport à leur état initial. Ce scale-up peut être un saut du stade d’idéation au stade de la création de l’entreprise comme nous le faisons actuellement avec le programme Decentralize Impact en partenariat avec Dar Blockchain et 1337 Digital Studio, du stade création au stade d’amorçage comme avec SamsungFastTrack ou le programme MORE et du stade d’amorçage vers le stade de scaling ou d’expansion comme pour le programme Green4Youth en partenariat avec Flat6labs ou encore MADAR Innovation en partenariat avec NewSilkRoads. Certains de ces programmes visent en particulier des entrepreneurs basés en dehors de la capitale.

Soutenus par nos partenaires stratégiques IFC, Hivos, UE et Oxfam, notre objectif est d’accompagner les entrepreneurs à travers des formations, coaching personnalisé, services financiers pour qu’ils puissent monter en compétences, affiner leur business model, structurer leur offre, maîtriser leur marché, définir leur stratégie de développement et par la suite être prêt à l’investissement et pour l’expansion dans le marché local et international. Le programme ImpactPlus vient compléter l’accompagnement des alumni pour leur donner un boost supplémentaire après la fin des programmes.

Huit années se sont écoulées depuis le démarrage de vos activités en Tunisie, qu’avez-vous appris sur les challenges auxquels font face les entrepreneurs ?    

J’aimerais commencer par souligner le fait que depuis l’entrée en vigueur de la loi StartupAct, les jeunes entrepreneurs bénéficient de plusieurs avantages dont, l’exonération de l’impôt sur les sociétés, la prise en charge par l’Etat des charges sociales et patronales, le droit à une carte technologique avec un plafond allant jusqu’à 100.000 dinars. Tous ces avantages ont permis de donner du courage à beaucoup de jeunes pour faire fi des obstacles.

Néanmoins, les entrepreneurs sont confrontés à plusieurs contraintes qui limitent lorsqu’elles ne freinent pas carrément leurs activités. Chaque entrepreneur a, évidemment, un parcours unique, mais je peux citer les problèmes de lois obsolètes ou rigides qui tardent à se mettre au niveau des attentes des entrepreneurs. Parmi celles-ci, la législation relative aux paiements en ligne et mobiles, la cryptomonnaie, la loi de change, les paiements internationaux. Mais aussi le cadre d’application des lois ESS et le crowdfunding encore manquant à l’appel. 

Il y a également un problème d’accès aux opportunités d’investissement en Tunisie et à l’international. Le Social Business Fund d’Impact Partner  a  d’ailleurs été créé dans l’objectif de combler un intervalle de financement non couvert et pour s’adresser aux projets early stage. Mais 5 ans après et malgré la naissance de nouveaux fonds tunisiens et l’intérêt grandissant d’investisseurs étrangers, ce gap de financement persiste encore. Les fonds étrangers sont encore très méfiants pour investir en Tunisie, d’une part à cause de l’instabilité politique et sociale, d’autre part à cause de la loi qui ne facilite pas le transfert d’argent à l’étranger.

A ce sujet, nous travaillons de notre côté aussi, sur l’élargissement de notre offre de financement et d’investissement direct avec de nouveaux partenaires.  

Ceci dit, nous restons optimistes parce qu’il y a une volonté de changement et d’amélioration des cadres juridiques par les représentants du gouvernement et par la Banque centrale. 

Les mots ‘Impact’ et ‘entrepreneuriat social’ sont sur toutes les lèvres dernièrement, est-ce un effet de mode ou une vraie révolution?

Un peu des deux ! Même s’il y a un effet de mode, nous ne pouvons que nous réjouir de la caisse de résonance que cela constitue pour le concept. Quant au fait que cela puisse être une révolution, je pense que nous assistons plutôt à une évolution. L’humanité est passée de l’ère industrielle à l’ère du digital dans les années 80. Récemment, la génération Z, de plus en plus en quête de sens, est en train d’accélérer le passage à l’ère de l’impact et du social good. Nous le voyons avec les jeunes entrepreneurs qui veulent de plus en plus combiner l’esprit entrepreneurial et la résolution de problèmes. Un grand nombre d’entrepreneurs est aujourd’hui engagé et développe des projets pour répondre aux besoins de la société et aux cris de la planète Terre. Gagner de l’argent en empêchant la désertification dans le sud, ou en revitalisant le patrimoine des artisans de la médina, cela ne peut pas être le résultat d’un effet de mode, mais bel bien d’un engagement en ligne avec les objectifs de développement durables. 

L’entrepreneuriat social prend une place de plus en plus importante dans l’économie mondiale, et est désormais reconnu comme force de changement levier de développement par les divers acteurs: institutions gouvernementales, politiques, acteurs privés et société civile. 

Il n’en demeure pas moins qu’il y a une tendance à l’impact washing qui consiste à clamer un impact social ou environnemental sans preuves ou mesure d’indicateurs. Conscients de ce fléau et de son incidence négative, nous avons développé avec les cabinets Mazars et Crowe, un Système de Gestion de l’Impact (Impact Management System, IMS). L’IMS permet de réguler le secteur de l’entrepreneuriat à impact pour éviter l’impact washing, à travers une méthodologie et des outils qui permettent à tout type d’organisation de mesurer et certifier son impact social et/ou environnemental et nous sommes les premiers à l’adopter au sein de notre structure pour mesurer notre impact. 

Cette tendance a été aussi observée dans le monde de l’investissement. En 2020, les startups à impact dans le monde ont vu le montant des fonds levés augmenter de 80% soit un total de 14.7 milliards de dollars aux US et en Europe. 

Cette transformation du monde de l’investissement brise le mythe du non rentabilité des projets à impact. C’est ce nouveau modèle, répondant aux besoins sociaux et aux urgences climatiques, qui se montre plus résilient et plus durable.

Nous sortons d’une crise sanitaire d’envergure globale et nous naviguons des temps de crises politiques et économiques aussi bien chez nous, qu’à l’échelle mondiale. Cela influence-t-il votre stratégie future? 

Les crises sont souvent des opportunités et des occasions pour grandir. Nous avons assisté à une accélération de l’adoption du digital lors de la crise du COVID-19. Cela a ouvert des portes à beaucoup d’entrepreneurs. La stratégie future d’Impact Partner  ne peut pas ignorer ces changements ni les retombées négatives. De ce fait, nous comptons apporter plus de diversité à notre cible et toucher des groupes vulnérables comme les personnes ayant des besoins spécifiques ou les migrants. Ce sont les victimes de première ligne en temps de crises et notre ADN nous pousse à améliorer leur qualité de vie, leur accès aux opportunités et aux services et leur environnement.

Nous visons également un partenariat stratégique avec plusieurs entreprises de taille intermédiaire et des grands groupes ou multinationales dans le cadre d’un programme baptisé Business as unusual au sein de notre réseau international. Comme son nom l’indique ce sera un programme qui bouscule le statu quo et qui explose le mindset répandu du “Business as usual”. 

En Tunisie, de plus en plus de Corporates sont conscients des avantages de collaborer avec des Startups et de l’effet que cela peut avoir sur leur business. Il est également important de souligner le faible niveau de collaboration entre les différents acteurs de l’écosystème et les Corporates, ce qui contribue à ralentir son essor et qui limite son potentiel de croissance. L’innovation est en train de changer, les entreprises tournées vers l’avenir ne voient pas les startups comme une menace, mais comme des partenaires potentiels pour créer plus de valeur pour leur entreprise, leurs consommateurs et leurs secteurs. 

Évoluant dans des sphères complètement indépendantes, la route vers une collaboration entre Startups et corporate est longue, mais inévitable pour une économie durable. 

Cette collaboration peut se faire à travers différents canaux: la co-création, l’open innovation, l’intrapreneuriat, l’essaimage, les coworkings, les corporate venture capital…

C’est une stratégie win-win-win, pour les corporates, pour les startups et pour nous comme structure d’appui aux entrepreneurs à impact. 

Nous allons évidemment continuer d’œuvrer pour la création d’emplois dignes et pérennes, et nous comptons en créer 2000 d’ici 2025, dont 50% femmes et 50% de jeunes de moins de 35 ans.

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