Quel remède pour relancer l’économie tunisienne ?

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Tribune, Mondher Khanfir

Dans une économie fermée, innover n’est pas une sinécure, même si elle regorge de talents à très haut potentiel.

Ceux qui osent se lancer dans l’aventure entrepreneuriale périssent en grande majorité … un peu comme les pionniers de la conquête du Far West. Mais une fois une route est ouverte, tout le monde se ruent pour se faire une place au soleil. Si vous réussissez, vous êtes très rapidement copié, voire même attaqué d’une manière sournoise, car l’état d’esprit dans une économie fermée n’est pas celui du « Meilleur qui gagne » mais plutôt celui du « Pire qui gagne ». Alors la question qui se pose pour les vrais entrepreneurs est comment réagir pour rester éthique et maintenir le succès dans des conditions extrêmement hostiles ? Aucune école ou université ne vous apprend cela !

Ma vie d’entrepreneur a débuté en 1997 avec la création de ma première entreprise en Tunisie. J’ai depuis lancé ou aidé au lancement de plusieurs entreprises, startups et même des associations soutenant l’entrepreneuriat et l’innovation, des deux côtés de la Méditerranée. J’ai ainsi cumulé des réussites et des échecs, mais surtout de enseignements que je résume autour des trois leçons suivantes :

La première leçon, lorsqu’on lance une affaire dans une économie fermée, comme c’est le cas de la Tunisie, le premier obstacle est d’accéder à la bonne information et de comprendre comment fonctionne l’administration. Du coup, le plus gros défi n’est plus de trouver le marché, mais de trouver les bons associés ou partenaires qui savent comment obtenir la bonne information et traiter avec les circuits administratifs dans le pays.

La deuxième leçon, si vous êtes innovateur, il ne faut pas s’attendre à trouver un cadre juridique complet ou favorable. Souvent, vous aurez à agir sur deux niveaux en parallèle, celui de la gestion de votre affaire pour la faire grandir, et celui de l’environnement d’affaires, justement pour avoir les conditions les moins défavorables à la croissance de votre entreprise. Cela nécessite plus d’investissement et plus d’énergie et réduit du coup la rentabilité de votre business. La seule chose qui vous fait accepter cette réalité, est l’attachement au pays. Mais supporter une faible rentabilité de son investissement tient jusqu’à un certain seuil…

Enfin la troisième leçon, quand l’Etat offre des avantages pour favoriser un secteur ou une filière, sachez qu’il va imposer ses propres règles, et peut même être tenter, comme c’est le cas en Tunisie, de jouer dans la cour du marché concurrentiel, avec bien sûr une asymétrie dans les rapports de force avec le privé. Si vous voulez innover, alors vous avez intérêt à chercher un secteur ou une filière où il n’y pas de concurrence déloyale… ce qui ne laisse pas beaucoup de choix.

D’aucun ne niera qu’au vu de la situation économique et sociale en Tunisie, tout redressement passe par une politique de soutien à l’entrepreneuriat et au développement du secteur privé. Rien que pour compenser la disparition ou la cessation d’activité d’entreprises, majoritairement des PMEs, il faudrait créer 500 nouvelles entreprises par an.

Pour y parvenir, le pays doit passer par unremède de choc, de type Stop&Go, pour reprendre un jargon de financier. En effet, lorsqu’un débiteur est surendetté et n’arrive plus à payer ses échéances, les créanciers proposent-sous conditions- à leur débiteur en difficulté,et s’ils ont encore l’espoir de récupérer leur capital, un répit et/ou un étalement des remboursements. Ce qui permet au débiteur de reprendre du souffle et redevenir solvable. Le parallèle avec ce que je vais décrire maintenant s’arrête avec cette image de redevenir solvable.

Ainsi, le gros challenge pour la Tunisie est de redevenir solvable. Elle en a les moyens. Pour cela, elle doit renouer avec la croissance et créer suffisamment de richesses pour satisfaire ses créanciers, d’une part, mais aussi veiller à bien répartir la richesse pour obtenir la paix sociale et redonner espoir et confiance au peuple, d’autre part.

Les entrepreneurs ont ainsi un rôle déterminant à jouer, car ils sont les vrais moteurs de l’économie, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des pouvoirs publics qui fonctionnent bien pour assurer l’équité et la justice sociale.

A cet égard, la Tunisie va devoir dire Stop à 3 maux qui rongent le pays et qui sont insoutenables pour l’entrepreneur, à savoir :

  • La bureaucratie
  • La corruption et les passe-droits
  • Le secteur informel

Certes, cela est plus facile à dire qu’à faire, mais il faut voir que ces trois maux sont liés, et pour les combattre, il faut adopter une approche systémique. La corruption est une conséquence de la bureaucratie, et le secteur informel est le résultat des deux premiers.  La racine du mal se trouve donc dans la bureaucratie, et aucun pays ne s’est réformé sans reformer son administration et son mode de gouvernance.

Pour le Go, qui représente l’impulsion d’une nouvelle dynamique entrepreneuriale, et qui redonnerait de l’espoir et la confiance, il y a lieu d’engager d’autres réformes radicales, pour obtenir en particulier:

  • Un cadre juridique plus souple et moins ésotérique pour l’entreprise, notamment innovante
  • Une fiscalité favorable à la création de jeunes pousses
  • Une politique d’innovation favorisant le transfert de technologies et la coopération université-entreprise

La Tunisie a un potentiel incroyable de développement, qui ne demande qu’à éclore. Tous les ingrédients de succès sont là, mais nécessite un changement de paradigme qui ne dépend que de la volonté collective. C’est ce qu’on appelle chez nous « Assahal Al Moumtana3 » en français « le facile impossible ». Mais l’espoir est permis du moment qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs est en train de s’imposer en Tunisie.

3 Commentaires

  1. Le GO devrait s’accompagner par les 3 conditions suivantes, qui interfèrent avec les réformes que tu proposes Mondher:
    (I) Egalité des chances (ii) justice et (iii) instauration de la discipline.

  2. Je vous félicite Mr Mondher Pour cet article et vraiment je suis ravi d’avoir eu la chance de vous connaître de près.

    Concernant l’objectif de créer 500 entreprises/startups par an c’est faisable et encore jouable, il faut à mon avis se serrer les coudes.

    Je voulais Rajouter parmis les maux :
    – la centralisation des opportunités de networking, de lobbying et de l’accès au financement
    – Le manque de subventions et le financement pour les phases d’amorçage
    – Le non partage des informations ( réticence et egoisme ) , des connaissances concernant les opportunités d’affaires ( export, financements, concours d’innovation, reunion b2b …)
    – et surtout le non co-développement des projets et le mécénat de compétences.

    En conclusion, Si on a perdu de l’argent, on n’a rien perdu ; si on a perdu les amis, on a perdu la moitié de ce que l’on a et si on a perdu l’espoir, on a tout perdu !!

  3. je pense qu’il faut peut être ajouter quatre choses fondamentales :
    1- l’octroi des avantages selon les objectifs à réaliser par l’entreprise avec un suivi rigoureux : système de motivation sanction
    2- la rémunération du personnel à la performance : mesure de la productivité globale de l’entreprise, calcul de la performance de tout un chacun sur la base des fiches postes où on identifie des critères de performance, la sensibilisation du personnel au système pour qu’il y adhère. Ajouter à cela la location d’actions au personnel (non statutaire) que l’entreprise reprend lorsque le bénéficiaire ait quitté
    3 la création d’un site pour former les chômeurs et les insérer par la suite dans le système économique en encourageant plus l’initiative privée
    4- en généralisant l’exigence d’êtres certifié aux normes internationales telles que ISO (iso 22000 pour l’agro-alimentaire, 45001 pour les aspects sécuritaires, SA 8000 pour le gestion sociale, etc) pour bénéficier de certains avantages exemple : la participation aux marchés publics; toutefois, l’auditeur devrait être fonctionnaire de l’état rémunéré à la performance pour que la certification soit mérité sinon en cas de doute les pouvoirs publics peuvent imposer un audit de vérification (cas où l’auditeur est privé) par l’auditeur du secteur Publicis

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