Rencontre avec Mehdi Ben Abdallah, président de la Chambre de Commerce Tuniso-Britannique.
Sommes-nous en passe de rater en partie le virage des énergies renouvelables ?
Non. Je ne pense pas qu’on ait raté le virage du renouvelable. Certes, on a accusé un retard parce que le processus comporte plusieurs étapes ainsi que plusieurs défis. La loi du plan solaire a été votée en 2012 et les décrets d’applications datent de quelques mois seulement ! Ensuite, il y a eu le premier appel d’offres dits des «10 mégawatt» et il faut attendre mars pour examiner les premières réponses. Vu sous cet angle, oui, nous avons effectivement perdu un temps précieux. Aujourd’hui, il y a un besoin de passer à une phase d’accélération. Cette accélération est d’autant plus nécessaire au regard de l’ambitieux objectif de la Tunisie à savoir, produire 30% de notre énergie à partir des sources renouvelables à l’horizon 2030 avec une phase intermédiaire qui fixe ce pourcentage à 12% pour 2022. Actuellement, le pic de production se situe aux alentours de 4%, le chemin à parcourir est donc bien long. S’il n’y a pas accélération pour encourager les investisseurs à venir en Tunisie, s’il n’y a pas de facilitation des procédures et de valorisation des capacités de production dans les appels à projets, on ne sera pas attractif.
C’est à dire ?
Actuellement, le ministère de tutelle se penche sur des projets beaucoup plus importants que ceux qui étaient initialement programmés. On parle à cet effet de concessions pouvant aller jusqu’à 300 mégawatt aussi bien dans l’éolien que dans le photovoltaïque. C’est une bonne démarche qui aura pour effet de stimuler les grands investisseurs et augmenter notre attractivité. Mais le projet en lui-même ne suffit pas, il faut aussi offrir des packages d’incitations pour s’implanter dans des régions particulières et simplifier tous les processus qui accompagnent l’investisseur dans l’ensemble des étapes du projet. D’autres facteurs clés interviennent dans ce grand dossier comme le prix de l’électricité, la libéralisation progressive du marché. Un investisseur a besoin de se projeter dans le futur et la partie concernée doit analyser cet enjeu avec justesse et clairvoyance.
Y a t-il défaut de volonté politique ?
Non, je ne pense absolument pas qu’il y ait un manque quelconque de volonté politique. Il y a au contraire une réelle volonté politique en vue d’accélérer le processus de valorisation et de promotion du renouvelable en Tunisie, mais les choses n’avancent pas aussi vite que prévu, parce que la machine n’est pas aussi bien huilée qu’on le souhaite. Sans compter les changements trop fréquents ces dernières années à la tête des ministères.
Quelles mesures d’urgences faut-il pour modifier le cours des choses ?
Assurer une stabilité et rassembler les forces. Quand on parle de volonté, cela ne dépend pas uniquement de l’Etat. La volonté doit aussi émaner des organisations syndicales et professionnelles, du monde l’entreprise pour converger dans la même direction. Ce que nous voulons avant tout c’est simplifier le process et séduire l’investissement par une approche plus pragmatique. En outre, nous devons impérativement assurer la stabilité des mécanismes que nous mettons en place. L’investisseur étranger ne redoute pas la difficulté, c’est un entrepreneur qui ose prendre des risques et investit dans des pays souvent complexes. En revanche, il est très regardant sur le volet de la stabilité sociale, sécuritaire, politique et fiscale, sur la bonne gouvernance, ou encore sur l’efficacité administrative.
Quand on parle d’énergie on parle aussi de souveraineté ?
Mais l’énergie est au cœur de la souveraineté. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’option du nucléaire a finalement été écartée de notre stratégie en matière énergétique. Aujourd’hui, 98% de notre électricité est produite à partir du gaz naturel et nous importons 55% de nos besoins d’un seul partenaire. Nous sommes dans une situation de dépendance croissante qui doit impérativement être substituée par une politique de diversification de nos sources d’approvisionnement et par des actions plus fortes pour développer les ressources fossiles nationales, l’efficacité énergétique, et les énergies renouvelables.
Pour conclure, je dirai que l’énergie renouvelable n’est pas un choix, mais une obligation !
Interview conduite par Nabil ALLANI