Mehdi Ben Abdallah : « Il est temps aujourd’hui de réviser le code et notre législation »

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Mehdi Ben Abdallah

Entretien avec Mehdi Ben Abdallah, Managing Partner – Excalibur International Advisory (Exia)

Quelle stratégie énergétique pour la Tunisie et comment doit-t-elle opérer sa transition énergétique ? 

Depuis l’indépendance de la Tunisie, plusieurs politiques et stratégies énergétiques ont été misent en place.

Dans les années 60 et 70, on a focalisé sur le développement de l’offre et la mise en place de la structure institutionnelle du secteur de l’énergie. Dans les années 80, il y a eu une prise de conscience d’un déficit énergétique prévisible et on a donc vu l’intégration de la composante de la maîtrise de la demande et de la consommation d’énergie. Après 90, on a commencé la mise en place de plusieurs réformes institutionnelles, l’entrée de l’investissement privé dans la production d’électricité, et une forte pénétration du gaz naturel était perceptible. Enfin dans la décennie 2000, on a été devant un déficit structurel énergétique, et la maîtrise de l’énergie a été considérée comme l’un des piliers de la stratégie énergétique tunisienne, alors que nous voyions au même moment une forte incitation à la consommation du gaz naturel.

La Tunisie a vécu ces dernières années depuis 2011 plusieurs difficultés ayant conduit le secteur de l’énergie et plus particulièrement le secteur des hydrocarbures dans une phase de récession marquée essentiellement par la baisse des activités d’exploration. Les causes de cette baisse d’activité sont à la fois liées aux conjonctures Internationales que nationales, telles que l’instabilité politique, sociale et économique. 

Aujourd’hui nous avons besoin d’une nouvelle politique énergétique stratégique, celle de 2030, celle de 2050, celle de demain, celle qui permettra à nos enfants plus tard de construire les prochaines étapes des futures politiques énergétiques.

Nous sommes devant un déficit énergétique structurel qui s’accroit, et ce malgré tous les efforts de prospection et de maîtrise de la demande, un déficit qui constitue un lourd fardeau pour les finances publiques, et par répercutions pour les entreprises et pour les citoyens.

Compte tenu de l’amenuisement des ressources gazières nationales et du déficit qui apparaît en la matière, la priorité, à mon avis, doit être donnée au renouvellement des réserves et à la promotion de l’exploration et la production, et à la diversification du bouquet énergétique dont les énergies renouvelables sont une composante essentielle. Mais pour cela il faut se donner les moyens de rassurer et d’attirer les investissements étrangers, élément fondamental pour le développement de ce secteur.

Comment réduire nos déficits, quelles sont les priorités ?

Ces dernières années le gouvernement a fait un travail important pour essayer de faire face à l’état d’urgence énergétique dans lequel nous sommes et il a fait de la transition énergétique une vraie priorité. On a vu des progrès certains dans le secteur de l’énergie avec le développement des énergies renouvelables en régimes d’autorisation ou de concession, le déblocage de nouveaux permis d’exploration ou encore les améliorations dans la maîtrise de l’énergie.

La stratégie énergétique déployée par le gouvernement est encourageante et permet d’être optimiste sur la possibilité de reconstituer une partie de nos réserves et encourager la production d’énergie fossile primaire, de renforcer la transformation du transport et de la distribution des énergies fossiles, de soutenir la production l’électricité avec l’augmentation de la capacité installée de production, ou encore de diversifier le bouquet énergétique à travers le développement des énergies renouvelables.

Cependant le chemin est encore long, les barrières à la mise en application des stratégies sont encore nombreuses, et il faut aujourd’hui un véritable électrochoc à travers un partenariat solide et réaliste entre le gouvernement, le législateur, la société civile et le secteur privé pour redynamiser d’une manière forte et pérenne ce secteur qui revêt une importance stratégique nationale.

Pour le secteur des hydrocarbures, il est fondamental d’accélérer la mise en production du projet Nawara et d’assurer sa stabilité, d’avancer sur les permis et concessions en attentes, même si ces deniers mois on a vu de nouveaux permis prometteurs être approuvés, et il faut revoir les procédures qui amènent le temps d’octrois d’un permis à presque 22 mois ; on se doit d’être également plus stratégique avec l’environnement social en mettant en place une vraie stratégie de RSE et non pas juste une approche de gestion d’impact.

Il est temps aujourd’hui de réviser le code et notre législation pour l’adapter à la réalité de notre sous-sol et au profil des entreprises que nous pouvons voir investir en Tunisie, et pour cela on doit y ajouter une vraie stratégie de marketing international de notre potentiel. Il faudrait aussi penser à dépasser les tabous et à accélérer les études et le développement de la législation sur le non conventionnel, comme nous devons également être stratégiquement plus avancé pour développer en consortium le potentiel du Golfe de Gabes.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, on parle de 30% en 2030, c’est bien, et les avancées des différents programmes mis en place sont très encourageants, mais il faut être encore plus ambitieux que cela.

La compétition internationale dans ce domaine est rude, et on se doit de donner des signaux forts aux investisseurs et opérateurs pour les attirer vers la Tunisie. Les investisseurs veulent voir un réservoir d’opportunités car ils cherchent où allouer leur capital sur le long terme. Il est donc important que le gouvernement maintienne le rythme des récents appels d’offres, et leurs mises en application, en lançant des appels d’offres consécutifs (régimes d’autorisation et de concession) dans un court laps de temps afin de maintenir l’intérêts des investisseurs dans le pays.

Il est important que le gouvernement prenne en compte les commentaires des investisseurs lors de la période de consultation pour l’attribution des concessions et des autorisations. Plus les investisseurs sont à l’aise, plus les offres seront compétitives et moins cher sera le prix de l’électricité pour les Tunisiens.

Le gouvernement doit aussi commencer à réfléchir à de nouvelles opportunités, telles que les interconnections, pas seulement pour l’importation, mais aussi pour l’exportation, car cela pourrait générer des opportunités très intéressantes pour la Tunisie. En effet, la Tunisie possède une importante ressource solaire et peut créer une activité d’exportation avec des retombés positive sur l’emplois, les revenues et les réserves en devises.

Les investisseurs sont prêts à financer de tels projets et le gouvernement devrait donc rechercher activement de telles opportunités maintenant, avant que le marché ne soit pris par nos concurrents.

Faut-t-il espérer de nouveaux forages concluants, et comment faire en sorte que d’autres investisseurs du secteur viennent en Tunisie ?

Il semble que le secteur des hydrocarbures commence à être redynamisé et on s’attend à une reprise prochaine de cycles de forages prometteurs. Les six nouveaux permis octroyés cette année et les deux ou trois demandes en attente d’approbation sont un signe important, et il faut féliciter le travail du ministère et de l’ETAP en collaboration avec l’ARP pour avoir trouvé les solutions légales et constitutionnelles adéquates pour faire avancer les différents dossiers.

Cependant, je pense que la Tunisie peut faire encore mieux que cela si toutes les parties, publiques et privés, impliquées dans ce secteur travaillent dans le même sens. Il y a des barrières administratives à revoir, une stabilité sociale et fiscale à assurer, une réglementation et une législation pétrolière à affiner, l’ETAP à renforcer, et d’excellents hauts fonctionnaires du ministère et des entreprises publiques à qui on doit donner les outils et les prérogatives nécessaires pour implémenter les stratégies à mettre en place.

Le potentiel gazier et pétrolier tunisien est existant et prometteur, aussi bien pour les zones non explorées que pour celles déjà connues. Je peux citer la zone nord offshore, le Golfe de Hammamet ou celui de Gabès, le sud de la Tunisie en onshore, ou encore le potentiel du non-conventionnel.

Aussi, le marché tunisien est en demande. 50% de nos besoins en gaz sont importés alors que 97% de notre électricité provient du gaz. Même avec l’objectif national de faire en sorte que en 2030 les énergies renouvelables représentent 30% de notre production électrique, il restera toujours 70% à combler, 70% des besoins de 2030 !!! Donc nous n’avons de choix que de continuer de promouvoir le potentiel de notre sous-sol.

Et pour attirer les investisseurs en Tunisie, nous nous devons d’améliorer la qualité de ce que nous proposons tout en étant plus agressif dans notre stratégie marketing.

Pour améliorer notre offre, il est important de donner aux personnes en charge du secteur les moyens de disposer de la technologie adéquate et des outils de travail plus efficaces. Il nous faut pouvoir acquérir de nouvelles données, en particulier des données sismiques quand cela est nécessaire, pouvoir travailler des projets communs avec les sociétés de conseil maîtrisant l’évaluation technique, économique et marketing ; comme il serait bénéfique également de considérer revoir les termes juridiques et contractuelles pour qu’ils soient plus attractifs dans un contexte de gagnant-gagnant.

On se doit de rendre le secteur tunisien du pétrole et du gaz plus visible sur le marché international à travers une participation active aux événements internationaux et cela en collaborant avec les organisations publiques et privés en charge de la promotion de l’économie tunisienne, comme il faut renforcer notre marketing digital en ligne. Nous devons également faire de notre mieux pour avoir une cellule de veille stratégique plus efficace, potentiellement en collaboration étroite avec des professionnels du métiers, et cela afin de garder un œil avisé sur les investisseurs ciblés, la tendance du marché et les concurrents, tout en nous efforçant de diversifier ces marchés cibles.

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