Les IDE en Tunisie : Entre attractivité et fidélisation

0
824

L’économie mondiale a été marquée ces dernières années par une montée des incertitudes nourrie par les répercussions de la crise sanitaire, la multiplication des catastrophes naturelles, la succession et l’étendue des conflits géopolitiques, etc. Cette situation a fragilisé le tissu économique dans plusieurs pays avec des degrés différents selon la résilience de chaque pays.

Par ailleurs, il importe de noter que la vulnérabilité économique et financière et l’instabilité des perspectives de développement, considérées comme des facteurs clés au niveau de la perception des investisseurs, sont de nature à impacter les flux d’investissement étranger et, par conséquent, la croissance.

En fait, l’investissement étranger constitue une source importante de financement extérieur, de création d’emplois, d’amélioration de la productivité et de développement du secteur privé. Cependant, durant les situations de fragilité économique, marquées par un accroissement des risques et des coûts, l’attractivité des investissements étrangers devient de plus en plus difficile.

Toutefois, les événements récents enregistrés au niveau de l’économie égyptienne particulièrement le 26 février 2024 date de la conclusion du plus grand investissement étranger dans la région MENA avec un fonds souverain Emiratie (Abu Dhabi sovereign wealth fund ADQ), sont à considérer. En effet, l’actualité économique égyptienne se distingue par une situation économique et financière exceptionnelle traduite par une détérioration des indicateurs d’endettement publique, une dévaluation de livre égyptienne qui a perdu plus de 30% de sa valeur par rapport au dollar américain ainsi qu’une augmentation du taux d’intérêt directeur pour atteindre 27,25% au mois de mars 2024. En dépit de cette fragilité économique et cette conjoncture sans précédente, l’Egypte a réussi à attirer de nouveaux investissements étrangers ce qui a suscité la réflexion sur les fondements et les enjeux des IDE en temps de crise.

En effet, l’enjeux de l’investissement étranger durant les périodes de vulnérabilité se manifeste à travers deux volets, en l’occurrence, réussir à attirer de nouveaux investissements étrangers et retenir les investissements étrangers déjà installés.

Par ailleurs, il convient de noter que l’investissement étranger comporte deux formes : une forme directe à travers les investissements directs étrangers (IDE) et une forme indirecte à travers l’investissement en titres financiers (en portefeuille).

Les nouveaux Investissements directs étrangers IDE -Greenfields : Les IDE peuvent être classés en deux sous catégories : les fusions/acquisitions et les investissements entièrement nouveaux. Les investissements nouveaux sont connus dans la littérature par les « Greenfields» qui désignent la création de nouvelles entités économiques : nouvelles constructions, nouveaux équipements, création de nouveaux emplois… En d’autres termes, la définition des « Greenfields » fait référence à une forme d’investissement direct étranger à travers laquelle l’entreprise réalise de nouvelles installations dans le pays tiers. Plusieurs études ont démontré des liens de corrélation et de causalité entre le nombre de « Greenfields » et la croissance économique dans les pays émergents. Les académiciens considèrent que cette variable est la meilleure révélation du niveau d’attractivité d’un pays en matière d’investissement étranger.

L’IACE se propose d’analyser les investissements directs étrangers (IDE) en présentant, dans un premier temps, un aperçu général de la situation des investissements étrangers dans le monde et, dans un deuxième temps, la situation des investissements étrangers en Tunisie : à quel point la Tunisie a été en mesure de retenir les investissements étrangers et a pu être une destination attractive pour les nouveaux ?

L’investissement étranger à travers le monde

L’attractivité des investissements étrangers constitue une des préoccupations fondamentales pour les académiciens, les professionnels et les preneurs de décisions. Les vagues de délocalisation et l’évolution erratique des IDE reflètent une relative instabilité de ces investissements et ce, nonobstant l’importance des incitations et des avantages accordés pour attirer les IDE.

En témoigne le fléchissement des IDE au niveau international d’environ 12% en 2022 (UNCTAD 2023).

Par ailleurs, et d’après les données de la Banque mondiale pour 20221, les 5 pays les plus attractifs en matière d’investissement direct étranger sont : les Etats Unis, La Chine, le Singapour, le Hong Kong et la France.

A partir de la même source et en se focalisant sur les pays arabes2, il apparait que l’Egypte, l’Arabie Saoudite et Oman sont les pays arabes qui attirent plus d’IDE alors que l’Algérie, le Qatar et la Tunisie se distinguent par une faible attractivité d’IDE en 2022.

En ce qui concerne les investissements nouveaux ou « Greenfields », il importe de noter que le classement des pays qui ont attiré davantage de Greenfield en 2022 diffèrent légèrement de ceux qui sont le plus attractifs en termes d’investissement étrangers. En effet, hormis les Etats Unis d’Amérique qui occupe la première place dans les deux classements, le classement par pays est très différent.

Le centre de données de la CNUCED fourni une base de données exhaustive pour évaluer le positionnement des pays en matière d’attractivité de nouveaux IDE.

Dans le but d’affiner davantage les analyses, plusieurs études exploratrices ont été menées pour analyser les attentes et les problématiques des investissements étrangers en se basant essentiellement sur des enquêtes ; Force est de constater que de nombreuses institutions à travers le monde effectuent des enquêtes dans le but de comprendre les nouvelles orientations et les contraintes des investissements étrangers.

A ce titre, il y a lieu de noter l’importance des résultats de l’enquête réalisée en 20235 sur l’attractivité de l’Europe en matière d’investissement étranger. En effet, l’enquête a conclu qu’il existe 3 principales menaces qui freinent l’investissement en Europe à savoir (i) l’instabilité politique, (ii) l’augmentation des coûts, (iii) la rigidité réglementaire et (iv) la faible disponibilité de compétences et de talents. Cette même enquête a mis en exergue, également, les 3 priorités des investisseurs en 2023 qui sont (i) la liquidité des marchés financiers et la disponibilité des fonds, (ii) la solidité des marchés locaux et (iii) l’implémentation de stratégies efficaces en matière de changements climatiques et de durabilité.

Les IDE en Tunisie

Le flux des IDE en Tunisie est passé de 1512 M $ en 2010 à 713 M $ en 2022. Au cours de la même période, le stock est IDE a atteint 39466 M$ en 2022 contre 31363 M$ en 2010.

Ces résultats, aussi positifs soient-ils, occultent une faible compétitivité de la Tunisie en matière d’attractivité des investissements étrangers en comparaison à l’Egypte et au Maroc. En 2010, la Tunisie et le Maroc étaient à des niveaux presque similaires de flux entrants d’IDE, et depuis l’écart s’est creusé à cause de la contre-performance de la Tunisie et les résultats probants du Maroc.

Certes, l’évolution du volume des IDE traduit dans une large mesure le degré d’attractivité du pays en termes d’investissement, néanmoins, il n’en demeure pas moins qu’il est important de distinguer entre le réinvestissement ou l’extension et les nouveaux investissements étrangers.

Cette distinction est primordiale pour éclairer les décideurs quant aux stratégies et politiques d’investissement à adopter soit pour impulser les nouvelles créations soit pour préserver le tissu existant.

Les données disponibles concernant le nombre des créations de projets étrangers et le nombre d’extension de projets étrangers existants montrent que la part des extensions dépasse 80% du nombre total de projets étrangers en 2023. Ces données ne prennent pas en considération le secteur industriel.

Depuis 2014, le nombre d’extension des projets étrangers existants est constamment supérieur aux nouvelles créations. Ce constat reflète une capacité de rétention (de fidélisation) des investissements étrangers existants avec un effort de réinvestissement de plus en plus important et ce, dans un contexte de faible capacité d’attractivité de nouveaux investissements.

Par ailleurs, afin d’affiner le positionnement de la Tunisie en matière de « Greenfields », une analyse comparative de l’évolution de ce type d’investissement durant la période 2003-2022 au niveau des pays d’Afrique du nord a montré que la Tunisie possède le plus faible nombre de nouveaux investissements par rapport à l’Egypte et au Maroc. En effet, l’Egypte est le meilleur pays en Afrique du Nord à pouvoir attirer des nouveaux investissements étrangers notamment durant la période de relance après la crise du Covid-19. La Tunisie peine à retrouver l’attractivité d’avant la crise sanitaire.

Conclusion

L’attractivité des IDE durant une période de fragilité économique demeure un objectif difficile vu la complexité de l’écosystème et de l’acuité des contraintes.

Les décideurs ont un double objectif qui consiste à préserver et retenir les investissements étrangers existants tout en attirant de nouveaux projets.

Il s’agit de favoriser le cadre idoine pour promouvoir les réinvestissements (des projets d’expansion et d’extension) afin de préserver essentiellement les emplois crées.

De même, l’action publique devrait être orientée vers la création de nouveaux IDE. Ceci requiert l’identification au préalable des attentes et des objectifs des investisseurs étrangers qui sont désormais fortement corrélés à l’évolution de la conjoncture et aux développements géostratégiques.

Parallèlement, des actions stratégiques de « branding » sont nécessaires pour valoriser le positionnement de la Tunisie notamment au titre des avantages comparatifs tels que la main d’œuvre qualifié, l’emplacement géostratégique, etc., créer une identité visuelle distinctive qui représente l’image de marque de la Tunisie en tant que destination d’investissement attrayante, développer des campagnes de communication ciblées pour promouvoir les opportunités d’investissement en Tunisie et garantir la transparence et la simplification des procédures pour un climat des affaires attractif.

Dans le même sillage, il est important de noter que les études récentes en matière d’IDE ont montré que les investisseurs étrangers sont très sensibles à la stabilité géopolitique, la performance des marchés locaux, la solidité des mécanismes de gouvernance en vigueur ainsi que la teneur et l’efficacité des stratégies implémentées pour faire face aux changements climatiques.

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here