Le développement du civisme fiscal : L’éducation du contribuable est-elle une opportunité pour réduire la pression fiscale en Tunisie ?

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Lamjed BEN MBAREK

La loi de finances 2023 ne fait qu’augmenter la pression fiscale sur les Tunisiens et relance l’économie parallèle. Selon les dernières statistiques de l’OCDE (2022), la Tunisie occupe la première place en matière de pression fiscale avec un ratio des impôts/PIB de 32,5% en 2020 contre une moyenne de 16% pour les 31 pays d’Afrique étudiés dans la publication, pourtant les 850 mesures fiscales mises en place depuis la révolution (dont principalement la réduction du taux d’impôt sur les sociétés). Dans ces conditions tendues accentuées par un environnement hyper-inflationniste et une évasion fiscale privant l’Etat tunisien de 10 milliards de dinars annuels, comment procéder alors pour changer le comportement des contribuables tunisiens face au fisc ? 

Des études récentes menées par la banque mondiale en 2019 et 2022, ont montré que certains pays de l’Afrique ont réussi ces dernières années à réduire la pression fiscale en accordant une priorité hautement élevée à des facteurs de nature non pécuniaires affectant le consentement à l’impôt, la morale fiscale, comme une communication judicieuse favorisant un niveau assez élevé de civisme fiscal. Les pays ayant réussi à augmenter leurs recettes fiscales sont ceux ayant un pacte social solide, basé sur la confiance entre le gouvernement et le contribuable. La confiance dans les gouvernements et les institutions a un impact significatif sur la volonté des citoyens de payer ses impôts (Rapport Afrobaromètre 2016). 

Le civisme fiscal (Tax morale dans la littérature économique ou compliance en Anglais) se manifeste par la motivation intrinsèque des contribuables de payer leurs impôts et de se conformer volontairement à leurs obligations fiscales par-delà de la crainte de la sanction ou de l’amende. L’amélioration du civisme fiscal a le potentiel de faire augmenter les recettes fiscales en faisant appel à des mesures d’exécution relativement restreintes. En revanche, ne pas tenir compte du civisme fiscal a un coût élevé. Un niveau moindre de civisme fiscal peut déboucher sur l’évasion fiscale qui est l’utilisation par le contribuable des possibilités qui lui sont offertes par la législation ou par son absence, son imprécision ou ses lacunes pour minimiser son impôt ou échapper à toute charge fiscale, une fuite vers le secteur informel et même des cas de fraude fiscale. Cette dernière n’est que la manifestation la plus courante de l’incivisme fiscal. Dans la pratique, l’incivisme fiscal se manifeste dans le comportement du citoyen, par une grande préoccupation pour ses intérêts personnels au détriment de ceux de la communauté dans laquelle il vit. Pourtant l’obligation de payer ses impôts tire son fondement de la constitution. 

Il est bien temps que l’administration fiscale tunisienne devrait se lancer dans un programme national visant à sensibiliser le contribuable à adhérer volontairement à acquitter ses obligations fiscales en vulgarisant l’information fiscale auprès du citoyen et en revoyant ses procédures de concertation avec ses partenaires. L’éducation des contribuables est un moyen d’autonomiser ces derniers et d’améliorer le civisme fiscal. Les vérifications fiscales peuvent ne pas être suffisantes pour combattre l’économie informelle. Le paiement de l’impôt est un devoir civique. L’objectif ainsi visé consiste dans le fait de rémunérer le civisme pour inciter les contribuables à déclarer leurs revenus plutôt qu’à choisir la taxation d’office. 

En effet, l’éducation des contribuables est un outil efficace pour améliorer le civisme fiscal. Une population éclairée et connaissant bien l’impôt sera relativement moins opposée aux impôts. La banque mondiale recommande que la notion d’éducation des contribuables couvre les aspects suivants visant à instaurer une culture du civisme fiscal « i) en enseignant la fiscalité aux contribuables en développant leurs connaissances et leurs compétences, ii) en recourant à des outils de communication visant à sensibiliser les contribuables aux différents aspects de la fiscalité, iii) et en fournissant aux contribuables une assistance pratique et concrète ».

Depuis 2019, l’OCDE et l’Union européenne assistent la Tunisie pour cinq ans, dans la mise en œuvre des normes fiscales internationales à améliorer les capacités analytiques de la Tunisie en matière de politique fiscale et à renforcer le civisme fiscal. 3 ans déjà passés, la réforme fiscale reste inachevée et mérite une attention d’urgence de la part de tous les acteurs impliqués.

L’éducation fiscale des contribuables est une nécessité autant urgente pour l’Etat tunisien dont la principale source majeure de ses revenus est le prélèvement de diverses impôts et taxes. La Tunisie s’est engagée depuis 2017 dans une compagne de sensibilisation auprès de quelques écoles du territoire en diffusant la culture fiscale auprès des jeunes élèves en les sensibilisant à l’importance du recouvrement. Cette expérience restera timide n’ayant pas été généralisée et non prise au sérieux par les différents gouvernements successifs.

L’expérience menée par la république de Burundi peut être considérée comme pilote et inspirante pour la Tunisie. Pour une fois, les bonnes pratiques sont importées de pays Africains en voie de développement et non pas de la Finlande ou du Danemark. Le benchmark est africain et nous parvient de la république de Burundi.

L’éducation du contribuable s’est manifestée en plusieurs volets : éducation de la jeunesse au civisme fiscal, mise en place des clubs scolaires « élèves amis du fisc », célébration de la journée nationale du « Contribuable » et promotion du civisme fiscal grâce au téléphone mobile. Depuis 2016, la république de Burundi s’est engagée dans une stratégie nationale d’éducation du contribuable en commençant par approcher les élèves, « contribuables de demain », pour les faire savourer ce que c’est le civisme fiscal. Le Burundi compte sur ses jeunes et les considèrent les futurs ambassadeurs qui pourront expliquer à leurs parents la nécessité de payer volontairement les impôts.

M. Kabura premier responsable de l’Office Burundais des Recettes (OBR) déclare que « les jeunes doivent savoir que l’Etat recourt aux impôts et aux taxes pour payer les fonctionnaires, construire les routes, les ponts, les écoles et les hôpitaux » et ajoute que ces jeunes sont invités dans le cadre de leur programme éducatif de visiter les bureaux de l’OBR pour comprendre le fonctionnement de la collecte des recettes fiscales et se familiariser avec les lieux.

Pour instaurer la culture fiscale, l’Office Burundais de Recettes a organisé en 2020 des clubs scolaires « élèves amis du fisc » ayant pour objectif d’inculquer aux élèves depuis leur bas âge le bien fondé de payer les taxes et impôts ainsi que les méfaits de la fraude. Les élèves de ces écoles constituent une pépinière de futurs « Bons » contribuables en grandissant tout en ayant une bonne culture fiscale et ce, en connaissant l’intérêt derrière le paiement de l’impôt et en maitrisant les règles fiscales. Fin 2022, tout récemment, le Chef de l’Etat a célébré la journée du 6 décembre de chaque année comme la journée nationale du contribuable sous le thème « Payons fièrement les impôts et taxes, contribuons au développement du pays ».

Le Burundi a également fait appel aux Technologies de l’Information et de Communication pour promouvoir le civisme fiscal grâce au téléphone mobile. La communication pour la promotion du civisme fiscal n’est pas suffisante sans le support de solutions informatiques mises à la disposition des contribuables d’une part et sans le soutien de campagnes de sensibilisation (communication de masse avec l’aide des médias) d’autre part. Toutes ces mesures prises ont contribué à réduire considérablement la pression fiscale et ont soutenu le développement économique.

Plusieurs autres expériences, beaucoup moins avancées et exhaustives que celle de la République de Burundi sont initiées dans plusieurs autres pays de l’Afrique. En 2019, au Maroc, la Direction Générale des Impôts a signé un accord de partenariat avec le ministère de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle et de la Recherche Scientifique. Le communiqué de la DGI prévoit « principalement des visites de représentants de la DGI au sein d’écoles primaires et secondaires pour initier les élèves au principe de l’impôt et au civisme fiscal ainsi que des formations en fiscalité au profit des professeurs de lycées ».

Depuis 2021, la République Démocratique du Congo a innové en matière fiscale en mettant au centre de sa stratégie de sensibilisation à la culture fiscale, le changement de mentalités chez le citoyen. La Présidence de la République a mis en place une brigade de civisme fiscal pour sensibiliser la population à s’acquitter des impôts, taxes et redevances. Le 11 mai 2022, la Guinée organise ses premières journées du civisme fiscal sous le thème « la Fiscalité au Service du Développement », indique bien l’importance des recettes fiscales pour le financement des services aux populations et au développement économique du pays.

En guise de conclusion, l’éducation des contribuables actuels et potentiels, ne peut être qu’un outil efficace pour transformer la culture fiscale et améliorer la fiscalité morale. Accroître le taux de recouvrement des impôts est un processus de longue haleine qui exige d’instaurer des méthodes de communication digitales, des messages de sensibilisation dans les médias, d’adopter des méthodes d’imposition équitables, de renforcer le corps des inspecteurs des impôts et de réformer le système fiscal vers davantage de progressivité. S’il reste beaucoup à faire pour créer une culture durable du contribuable, l’attention particulière portée au moral des contribuables peut ouvrir la voie à une plus grande conformité volontaire, pour un système fiscal juste et équitable.

Pour accroitre ses recettes fiscales, le gouvernement tunisien devrait changer de vision et s’orienter vers la vulgarisation des avantages non pécuniers ayant pour objectif de changer la mentalité du contribuable.

L’expérience a bien montré les limites de se focaliser uniquement sur des encouragements pécuniers. En effet, la réduction du taux d’imposition de 25% à 15% n’a pas donné un impact significatif sur l’augmentation des recettes fiscales. Ce type de mesure pouvait donner ses fruits dans des pays développés comme le Canada ou les Etats Unis où le contribuable voit directement la contrepartie donnée par l’Etat. La question en Tunisie est purement culturelle nécessitant un changement global du mindset aussi bien de la part du contribuable que de l’administration.

 Par : Lamjed BEN MBAREK

Expert comptable, Membre de l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie

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