Guillermo Ardizone Garcia : «La Tunisie est un voisin et un acteur stratégique.»

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Guillermo Ardizone Garcia Ambassadeur d’Espagne en Tunisie

Rencontre Exclusive avec Son Excellence Monsieur Guillermo Ardizone Garcia, Ambassadeur d’Espagne en Tunisie

Excellence, si vous nous donniez un bref aperçu sur les relations exemplaires tuniso-espagnoles ? 

Les relations entre l’Espagne et la Tunisie sont très anciennes et, ont des racines bien avant l’indépendance de la Tunisie. Durant nos relations diplomatiques il y a eu des moments particulièrement importants et marquants, je citerai l’année 1995 qui était celle de la signature de l’Accord de Coopération, d’Amitié et du bon Voisinage avec la Tunisie. Cette année était, également, historique du fait que la Tunisie a été le premier pays de la Méditerranée du sud à signer le premier Accord de Partenariat euro-méditerranéen avec l’Union européenne qui coïncidait avec le lancement du processus de Barcelone dont nous fêtons cette année le 25ème anniversaire. Ensuite, il y a eu une impulsion de la coopération bilatérale entre l’Espagne et la Tunisie à travers de multiples réunions de haut niveau entre les deux parties afin d’aboutir à un partenariat renforcé.

Depuis 2011, ces relations ont connu un saut qualitatif en passant à un palier supérieur. L’Espagne a donné à plusieurs reprises des signaux positifs sur l’importance de la position de la Tunisie en Méditerranée en tant que voisin privilégié notamment lors de la visite, en 2011, du Chef du Gouvernement espagnol qui était la première visite d’un Chef du Gouvernement européen en Tunisie après la révolution. En 2014, nous avons enregistré la visite de Sa Majesté le Roi qui était le Prince Héritier qui a assisté à la cérémonie de promulgation de la Constitution tunisienne qui était un long processus difficile en montrant de nouveau la capacité des Tunisiens dans le consensus ainsi qu’à la résilience de la Tunisie à faire face aux défis de la transition politique et démocratique. Il faut rappeler également que Sa Majesté le Roi est venue en 2019, pour assister aux obsèques du Feu Béji Caïd Essebsi.

Son Excellence Fernando Valenzuela a titré dans son livre « La Tunisie et l’Espagne, une relation méditerranéenne d’avenir ». Votre point de vue ?

Nous entretenons des relations très étroites avec la Tunisie non seulement sur le plan politique et diplomatique mais également sur le plan économique et industrielle. Il est à souligner qu’en 2019, l’Espagne est le 4ème client de la Tunisie, le 5ème fournisseur et le 5ème investisseur en termes de stocks. Par ailleurs, plus de 60 entreprises espagnoles sont implantées en Tunisie couvrant plusieurs branches d’activités économiques qui ont contribué à la création de plus de 6000 postes d’emplois. Cette présence espagnole en Tunisie reflète non seulement la volonté du gouvernement à tisser des liens solides avec la Tunisie mais également celle des opérateurs et investisseurs espagnols qui ont cru au potentiel de ce pays.

Que faudrait-il encore pour impulser cette coopération ?

Nous avons des relations fondées sur des liens solides, un héritage historique commun et à la profondeur de la richesse du patrimoine qui lie l’Espagne à la Tunisie. Toutefois, il faudrait tenir compte et être attentif aux mutations enregistrées dans nos sociétés respectives. A mon avis, il faudrait aller plus en profondeur dans nos relations de manière à instaurer un dialogue franc et régulier. La 8ème réunion de haut niveau qui s’est tenue en 2018, à Tunis et qui a abouti à une Déclaration conjointe touchant une série de questions d’intérêt commun était dans la lignée du processus de Barcelone de créer un dialogue politique, économique et socioculturel franc et durable.

Concrètement, quelle stratégie ?

Je pense qu’eu égard aux changements survenus dans nos sociétés, il faudrait dépasser le strict cadre institutionnel de nos relations pour instaurer un ancrage plus en profondeur auquel la diplomatie économique jouerait un rôle important afin d’encourager les hommes d’affaires et les différents opérateurs de se rencontrer et d’établir des liens solides et durables en tenant compte des atouts et des avantages de chacun. Parallèlement, il faudrait promouvoir la diplomatie publique, à l’instar de ce qui a été initié depuis le démarrage du processus de Barcelone, en encourageant la société civile, les universités, les centres  de recherche scientifique, les municipalités, les associations d’avocats et de magistrats des deux côtés, à jouer un rôle de catalyseur afin de constituer une plateforme de paix, de stabilité et de prospérité partagée. Également, compte-tenu du Covid-19, nous devons réfléchir encore plus et donner un regard plus accentué à la diplomatie scientifique. A cet égard, la recherche scientifique, l’innovation et la digitalisation appliquée à l’industrie et aux services, sont des axes importants pour développer la coopération économique et industrielle post covid-19, afin de contribuer à la création d’emplois et de richesses. 

Il faudrait également puiser dans notre solde civilisationnel et culturel commun, pour mettre en évidence que, Tunisiens et Espagnols possèdent des points qui les rapprochent beaucoup plus qu’ils ne les séparent et briser les incompréhensions et les tabous entravant l’instauration d’un partenariat tuniso-espagnol plus humain. Par ailleurs, partant du fait que plus de 70% du commerce extérieur de la Tunisie se réalise avec l’Union européenne, l’Espagne voudrait, compte-tenu de sa dimension méditerranéenne et européenne, encourager et renforcer ce partenariat traditionnel auquel la Tunisie est un voisin et un acteur stratégique.

Qu’en est-il des autres domaines de coopération ? 

Nous entretenons avec la Tunisie une coopération avancée qui nous a permis de fonder un partenariat touchant le volet de la Femme et son insertion dans la vie active et politique de la Tunisie et  développer, d’autre part, l’économie inclusive en ciblant les couches les plus défavorisées et vulnérables à travers les financements de microcrédits. A ce titre, le gouvernement espagnol vient d’accorder un montant de 3 millions d’euros au CFE. Il est à souligner, d’autre part, que nous avons un programme à travers le fonds international «FIDA» qui s’étale sur la période 2012-2021, dans le Sud-est de la Tunisie pour le financement de projets dans le domaine de l’agro-élevage pour un montant de 12 millions d’euros.

Parallèlement, dans le cadre de la coopération économique, nous avons mis à la disposition de la BEI une enveloppe financière de 15 millions d’euros en plus d’un fonds de 2,5 millions d’euros sous forme de dons pour appuyer la société civile et le développement de la Femme. Par ailleurs, dans le cadre de la décentralisation des Communes au sud du pays, nous finançons, en collaboration avec d’autres bailleurs de fonds des pays membres de l’UE, un projet géré par le PNUD pour la décentralisation et l’appui aux municipalités et le développement de leurs capacités.

Egalement, dans le cadre de la constitution d’un réseau d’entreprises espagnoles et tunisiennes, nous avons mis à la disposition de la Tunisie, une enveloppe financière de 25 millions d’euros pour le financement des PME-PMI afin de soutenir des petits et moyens projets allant jusqu’à un maximum de 2 millions d’euros. D’une manière générale, 300 projets ont été financés depuis 2001 à travers les différentes lignes de crédits espagnoles. En résumé, c’est une coopération active et dynamique qui touche tous les domaines de la vie politique, économique et sociale de la Tunisie.

Néanmoins, le volume des échanges reste faible ?

C’est vrai, en dépit de cette large coopération et notre position en tant que 5ème investisseur de la Tunisie, les résultats sont en deçà de nos aspirations et il faudrait un effort supplémentaire de la part de tous les acteurs des deux côtés pour aller plus loin dans notre coopération économique et industrielle. Je pense que, malgré nos liens historiques, il existe un manque de connaissances et de compréhensions de part et d’autre, à cet égard, nos Institutions respectives : ministères, ambassades, acteurs chargés du commerce et de l’industrie, associations civiles…, devraient contribuer pleinement à aplanir cette défaillance et rendre cette connaissance mutuelle possible.

Dans ce contexte, je pense que l’organisation des missions commerciales, les foires et salons, la participation aux événements régionaux sont d’une importance capitale pour que les hommes d’affaires et les différents opérateurs se connaissent mieux. La Chambre Tuniso-Espagnole de Commerce et de l’Industrie fait, depuis sa création, un travail remarquable dans ce domaine et l’Ambassade soutient fortement ses démarches. Mon intervention à la conférence organisée récemment à Valence et à Alicante par les Chambres de Commerce des deux régions va dans cette logique et c’était une occasion pour présenter la Tunisie, stimuler et encourager les hommes d’affaires espagnols à investir dans ce pays. Les lignes de crédits et les autres instruments financiers sont des éléments moteurs pour créer un climat d’affaires et d’investissement propice et bâtir un partenariat durable avec un esprit gagnant-gagnant.

Par ailleurs, les entreprises espagnoles demandent ce que les compagnies d’autres pays demandent  du côté tunisien, alléger la lourdeur administrative, la réglementation du change, renforcer la sécurité juridique, améliorer la logistique, notamment les problèmes liés au port de Radès qui représente un facteur stratégique pour le commerce extérieur tunisien. En ce qui concerne la modernisation de l’Administration, de notre côté, nous penchons depuis des années à la transformation digitale de l’Administration espagnole afin de rendre les démarches administratives plus souples. L’Espagne comme la Tunisie est consciente encore plus après la crise sanitaire mondiale du basculement vers une administration plus moderne où le facteur digital est incontournable et primordial et l’Espagne serait disposée à partager avec la Tunisie son expérience.

Les perspectives ?

Nous avons établi en 1995 dans le cadre du processus de Barcelone un partenariat stratégique avec la Tunisie qui a été révisée à plusieurs reprises mais il faudrait lui donner maintenant plus d’intensité. Les Institutions des deux pays devraient impulser davantage ce partenariat à l’occasion de la 9ème réunion mixte de haut niveau qui se tiendra en Espagne lorsque les conditions sanitaires le permettent.

Il est à rappeler que lors de la 8ème réunion de haut niveau qui s’est tenue en 2018, à Tunis, nous avons proposé, en collaboration avec d’autres bailleurs de fonds européens, une enveloppe financière de 20 millions d’euros pour la réalisation de projets dans le domaine de l’énergie photovoltaïque. Également, dans le cadre de la coopération énergétique et notamment les énergies renouvelables qui constituent un secteur stratégique et d’avenir pour les deux pays, une enveloppe de 20 millions d’euros a été mise à la disposition de la Tunisie pour le financement de projets dans le domaine de l’énergie éolienne. Pour conclure, je dirai que les relations entre l’Espagne et la Tunisie possèdent encore une grande marge de manœuvre et les perspectives sont prometteuses.

Les Institutions publiques, d’un côté et le secteur privé et tous les acteurs de la société civile, de l’autre, devraient conjuguer leurs efforts pour bâtir un partenariat plus bénéfique et durable.

Votre message ?

Il faudrait un effort supplémentaire de compréhension mutuelle et de voir du côté tunisien en l’Espagne un pays moderne qui a beaucoup changé durant les 40 ans qui ont suivi le changement démocratique. C’est un pays qui a aussi des problèmes mais qui possède une capacité de compréhension et de respect notamment envers les pays amis. L’espace euro-méditerranéen constitue un défi commun et présente beaucoup d’opportunités que l’Espagne et la Tunisie devraient pleinement exploiter pour le bien de nos peuples.

Par : Jamel GOUBANTINI

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