Entretien avec Ghazi Mejbri, Président de la Chambre Syndicale Nationale des Entreprises de Soutiens aux Services Médicaux.
Monsieur Mejbri bonjour. Quel est, aujourd’hui, l’état de santé du tourisme médical en Tunisie?
Les opportunités nouvelles créées par les récents et concomitants développements de la médecine, des technologies de l’information et des transports internationaux, révolutionnent, depuis une vingtaine d’année et à une vitesse exponentielle, le marché de la Santé et des soins médicaux, en l’internationalisant.
De nouvelles activités et de nouveaux métiers naissent, se développent et font désormais la différence dans une compétitivité désormais, mondialisée et rude.
Profitant d’une conjoncture favorable et d’une libéralisation plus importante que celle des voisins, le secteur de la santé et de la médecine, s’est rapidement positionné à l’international. De nouveaux métiers et des activités nouvelles se sont mis à sa disposition pour le soutenir et renforcer ses avantages concurrentiels.
Dès les années 2000, de nouvelles entreprises, métiers et activités se sont organisées en chaîne de valeur pour le servir et doper ses potentialités. Parmi lesquelles le transport par avions sanitaires (les avions ambulance), les sanitaires, la facilitation et l’assistance aux évacuations sanitaires et plus récemment, les hébergements médicalisés et la télémédecine, malgré une absence quasi totale de structures de régulation de ces chaînes de valeurs et la quasi absence de textes juridiques organisant ces nouveaux secteurs.
L’année 2020 a tout de même connu deux importantes avancées :
- la création d’une chambre patronale des entreprises de soutiens aux services médicaux (juillet 2020) ;
- la publication d’un premier décret reconnaissant les centres de convalescence comme centre de soins (septembre 2020) ;
- un décret règlementant la télémédecine.
Le secteur de la Santé s’enrichit d’une nouvelle Chambre syndicale dont vous assurez la présidence et représente des métiers comme l’e-santé, la convalescence, de quoi s’agit-il au juste ?
La Chambre Syndicale Nationale (CNS) de Soutien aux activités de Services de Santé (SSS) est une chambre patronale relevant de la Fédération de la Santé de l’Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce et de l’Artisanat (UTICA). Elle regroupe les entreprises tunisiennes ayant pour activité principale le soutien aux services médicaux et de santé. En particulier :
- les entreprises d’assistance et de services médicaux ;
- les entreprises d’évacuation sanitaire ;
- les entreprises de facilitateurs médicaux et de conciergerie médicale ;
- les centres de convalescence ;
- les entreprises de transport par avion sanitaire ;
- les entreprises et plateformes de l’E-Santé.
Historique
Les premières structures se sont créées en début des années 2000 pour renforcer la chaîne de valeur de la prise en charge de patients étrangers en soins en Tunisie :
Depuis les années 2007 :
En 2017 : des opérateurs de ces secteurs ont déposé une demande d’affiliation à l’UTICA.
Entre 2017 et 2019 : des représentants des membres fondateurs ont été associés à différentes consultations menés par le ministère de la Santé et à différentes commissions.
La création de la Chambre est devenue officielle et définitive suite à l’assemblée générale des entreprises du secteur tenue le 14 juillet 2020 au siège de l’UTICA.
Cette assemblée générale a élit un bureau exécutif pour deux année.
Bureau exécutif de la chambre
Les élections du 14 juillet 2020 ont abouti au bureau exécutif suivant :
Président : Ghazi Mejbri (dirigeant de la Société SMEDI)
Vice président. Hatem Ben Jebara (Dirigeant de la société SABA assistance)
Trésorier : Dr. Sami Kallel (dirigeant de APOLLO Médical
Membres responsables des Pôles
Assistance et transport sanitaire aérien : Nejib Karoui, dirigeant de MEDIC
Résidence de Convalescence : Dr. Chiheb Haddou, dirigeant de CONVALESCENCE GAMARTH
E-santé : Dr. Mohamad Ben Hamida, dirigeant de MSANTE
Chirurgie esthétique : Dr. Mourad Adala, dirigeant A2A
Dans une sorte de livre blanc, vous avez publié une étude sur le secteur ?
Le tourisme de santé est un axe d’export des services de santé parmi huit autres axes.
Le tourisme médical est un sous axe du tourisme de santé qui comprend le tourisme médical, la gestion des seniors et le bien-être.
Un marché mondial de :
- 50 milliards de dollars ;
- 14 millions de patients.
Une croissance de 15 à 25% par an.
Fort impact économique et financier directe et indirect :
- 3000 à 6000 dollars par visiteur.
Historique de l’activité en Tunisie
Les premières entreprises de soutien aux services médicaux ont été créées en début des années 2000.
Elles ont commencé à se professionnaliser à partir de 2008.
Des dirigeants de ces entreprises ont commencé à être associés aux différentes commissions consultatives relevant du ministère de la Santé de Tunisie dès 2008.
Dès cette période, les acteurs de la Santé ont commencé à sentir le besoin de réguler les activités de facilitateurs, d’évacuation sanitaire et d’hébergement médicalisé hors hospitalisation.
Des différences de visions avec certaines corporations existantes ont retardé la finalisation de textes réglementaires de ces activités.
Données de base pour la Tunisie
500.000 hospitalisations.
- recettes en devises 2500 millions de dinars directement à comparer avec :
- le tourisme : 2831 millions,
- l’énergie (pétrole etc…) : 2047 millions et,
- les mines dont phosphate : 1411 millions de dinars.
La Tunisie est la première destination en Afrique en termes de nombre de patients et de recettes. La Tunisie est la deuxième en Afrique au niveau des indicateurs OMS de la Santé.
Les principaux patients étrangers nous viennent des pays voisins et aussi des pays subsahariens de notre continent.
Les effets positifs pour la Tunisie ne concernent pas seulement les recettes touristiques, mais également :
- la montée en compétence des praticiens et la réduction de leurs fuites vers l’étranger ;
- le financement du secteur et son équipement (Le privé qui ne représente que 20% de l’offre totale, représente 67% des équipements lourds, a permis d’en faire profiter les citoyens tunisiens) ;
- les effets d’entraînement sur les autres secteurs.
Les défis
1- Le nombre de cliniques augmente de 20% ;
Le nombre de lits qui double ;
Le défi premier est comment réussir à doubler au moins le nombre de patients étrangers ?
2- La Tunisie est classée quatrième en termes d’attractivité médicale globale, comment améliorer cette position ?
Quatre maillons principaux de la chaîne de valeurs
La chaîne de valeurs des soutiens aux soins de santé sont nombreux.
Quatre ont atteint un haut niveau de développement et de professionnalisation et d’investissement.
1- La facilitation médicale
C’est l’appellation finalement retenue pour qualifier les entreprises de recrutement et d’assistance aux étrangers lors de leurs soins en Tunisie.
La nécessité d’organiser cette activité s’est imposée dès 2008, mais les discussions des détails a beaucoup trainé à cause d’une vision conservatrice et passéiste de la médecine, de certains acteurs et corporations établies.
Finalement, un premier texte relatif à l’encadrement des entreprises de facilitation médicale. En 2019, un texte a été finalisé par les différentes parties prenantes et acteurs de la Santé en Tunisie. Il est à ce jour en attente de publication pour des raisons d’instabilité politique et de bureaucratie.
Une cinquantaine de sociétés opèrent actuellement officiellement malgré l’absence de textes.
2- Les centres d’hébergement médicalisés
Ils reçoivent les patients en post-opératoire. Le besoin de telles structures est surtout urgent pour les patients étrangers. Ils protègent les patients et leurs accompagnants et évitent les risques pour le malade de se retrouver en post-opératoires dans des conditions inadaptées à la délicatesse de leurs cas (appartements meublés, hôtels, etc.).
Des maisons de convalescence et des centres d’accueil hospitaliers ont commencé à se développer, depuis 2008. Certains centres de convalescence répondent même aux exigences sévères des établissements dits SSR (de soins de suite et de réadaptation) françaises.
Cependant et malgré un projet de cahier des charges mis au point depuis 2014 et un décret publié en septembre 2020, le secteur est bloqué par l’absence de cahier des charges permettant à ces centres de jouer leurs rôles en toute sécurité et en toute légalité.
3- Les entreprises d’assistance et de transport sanitaires par avion.
Certains cas de patients étrangers nécessitent des évacuations par transports sanitaires par avion. Soit par des civières sur des avions de lignes régulières, soit par des avions médicalisés dits avions-ambulance.
Cette activité qui s’était développée dans les années 2000 à la faveur du développement du tourisme est restée limitée à cause d’une règlementation très stricte.
Les entreprises tunisiennes restent des représentants de compagnies aériennes et les tentatives des investisseurs de lancer une compagnie tunisienne n’ont pas abouti à cause de la complexité des procédures et des conditions imposées. Des entreprises ont commencé à fleurir chez nos voisins.
4- E-Santé et télémédecine
Lancés depuis les années 2000, ils se sont développés très lentement. Jusqu’en 2017, les principales utilisations ont été en radiologie et quelques tentatives de digitalisation du dossier médical du patient.
Le développement d’internet, des AI et des Big Data, les difficultés de disponibilité de médecins spécialistes sur toute la République et le COVID-19 ont rendu plus urgente et plus opportune l’ère de l’e-santé et de la télémédecine.
En 2017 a été lancée la première plateforme de télémédecine, ambitionnant d’être une plateforme pour la gestion des rendez-vous, le conseil et la téléconsultation.
A cause du COVID-19, quatre autres plateformes ont été lancées en 2020 et le nombre pourrait augmenter en 2021.
Toutes ces plateformes ambitionnent aussi de se mettre au service des patients étrangers et de la médecine sur notre continent.
Plus qu’ailleurs, la responsabilité médicale des praticiens devra être précisée et encadrée. C’est pourquoi leur développement ne sera effectif qu’après la publication d’un décret qui légalise leurs actes. Ce décret semble en phase finale de validation par les autorités compétentes.
Une vingtaine de mesures pour booster la Destination Tunisie.
Le tourisme médical ne sollicite pas d’avantages particuliers. Il ne demande qu’à supprimer certains obstacles pour maintenir son leadership en Afrique qui commence à s’effriter.
Beaucoup de facteurs et beaucoup d’acteurs impactent la réussite du tourisme médical. Le tourisme médical ne peut réussir que si l’environnement général est propice.
Les freins les plus importants relèvent de nos faiblesses en matière de liaisons aériennes notamment avec l’Afrique et celle de notre présence diplomatiques et l’absence de promotion de la Tunisie en tant que destination de Santé.
D’autres freins sont d’ordres règlementaires et administratifs. D’autres sont plus faciles à mettre en œuvre pour assister l’accueil des patients à leur arrivée. Une vingtaine de mesures urgentes ont été proposées dans le détail.
La Chambre patronale des entreprises de soutiens aux soins a élaboré un plan d’action pour les cinq prochaines années qui visent à obtenir la levée d’un maximum d’obstacles et de contribuer aux efforts de toutes les parties pour que la Tunisie garde son avancée et propulse encore plus son leadership régional. Instituer un visa santé à l’entrée d’une durée de 90 jours
A travers le projet SMEDI, vous avez vous-même vécu cette expérience. Vue de l’Afrique, pourriez-vous nous en parler?
L’Afrique est notre continent et sa réussite sera la nôtre. Son secteur de la Santé a accusé des retards très importants. Les besoins des populations sont tout simplement énormes. La course contre la montre pour rattraper le temps perdu est sérieusement engagée.
Actuellement, la plupart des pays mobilisent des énergies très importantes pour s’équiper et former leurs ressources humaines.
Au Nord comme au Centre et au Sud du continent, plusieurs pays se préparent à remodeler leur offre de santé. Les plus entreprenants seront les hub régionaux de demain.
Aujourd’hui, plusieurs pays ont besoin d’évacuer leurs patients pour se faire soigner à l’étranger. C’était un passage obligé. Nous avons essayé de leur proposer une offre optimisée et honnête, réduisant les risques.
Cependant, cela leur coûte cher, déstructure leur secteur de la santé et frustre leurs praticiens.
Cela devra faire partie du passé. Progressivement, nous devons aider à ce que cela s’arrête. Nous devons être là pour contribuer à assurer la transition et à nous positionner sur de nouvelles voies de partenariat correspondants à de plus fortes valeurs ajoutée pour nous et pour les pays émetteurs de patients.
Notre expérience du tourisme médical, l’investissement, le conseil, l’ingénierie et les technologies de l’information seront l’avenir de notre contrat Win-Win.