Comment le site Tunisie est devenu le pivot IT stratégique du Groupe ?
Entretien avec Kaïs Allani, Directeur Général de Faurecia Informatique Tunisie (FIT) – Groupe FORVIA
Pouvez-vous nous parler de l’aventure de FORVIA en Tunisie ?
Le Groupe FORVIA est un Leader mondial dans le domaine automobile : il fait partie du Top 10 des fournisseurs du secteur automobile avec un chiffre d’affaires qui dépasse les 27 Milliards d’euros et un effectif global qui dépasse les 150 mille personnes dans le monde. Nous produisons des sièges automobiles, des tableaux de bord, des systèmes d’échappement, des solutions en hydrogène, des phares et des feux de voiture et des systèmes électroniques.
FORVIA est le fruit du rachat de HELLA par FAURECIA, deux géants de l’industrie automobile.
Nous sommes présents en Tunisie depuis 15 ans, la filiale informatique tunisienne étant créée en 2009, à la suite d’une décision à l’époque de chercher un centre, donc un pays, pour aller s’y implanter et créer des équipes d’IT. Il y avait une étude ciblant le Maroc, la Tunisie et l’Égypte et à l’époque le DSI de l’entreprise avait choisi la Tunisie en se basant sur les critères les plus favorables, notamment la proximité culturelle et la qualité de ses ressources humaines. Le plus difficile n’a pas été de choisir la Tunisie mais surtout de monter quelque chose de robuste et forcément ceci ne se fait pas automatiquement dès le premier jour. C’est toujours un peu compliqué au début avec la peur de l’inconnu, la peur de l’aventure. Alors, on prend des petits risques, on commence avec des petits projets, le bout de la chaîne de production et cela ne marche pas super bien au début. Les ingénieurs cherchent les projets les plus pointus et ne sont pas forcément séduit par les sujets les moins juteux. Mais par suite des succès des premiers projets, on commence à créer une certaine fidélité et on se dit, «tiens, pourquoi ne pas mettre le site plutôt au centre de la chaîne de production pour pouvoir garder les compétences, attirer les meilleurs et créer un site IT fort et durable.» Et, c’est cela qui a créé le déclic ! C’était du gagnant-gagnant, un rôle plus central pour le site et des compétences plus intéressées et plus stables. Je pense que le principal frein de l’être humain, c’est la peur. On craint que cela ne marche pas, on a peur quelquefois de réussir ! Et, du moment où on arrive à surpasser cette peur et qu’on se dit vraiment «il faut y aller», il faut mettre le paquet et bien c’est là où cela carbure. C’est ce qui s’est passé ici. Par moment, on s’est dit, allez, il faut faire confiance à ces équipes et leur permettre de prendre les responsabilités sur les différents projets et sur l’ensemble des activités : développement, qualité, déploiement, infrastructure… Cette confiance nous a permis d’être aujourd’hui au cœur de tout le système.
Autrement dit, le site en Tunisie est en première ligne pour développer des applications. Comment expliquer ce rôle pivot et important du site ?
Effectivement. Nous comptons deux sites en Tunisie : un dédié à la DSI, donc l’informatique et une usine qui fait partie de la business group Seating, qui se charge de la production des tissus (les coiffes) qui couvrent les sièges que nous envoyons par la suite dans d’autres usines en Europe. Dans notre site informatique, nous développons, maintenons, validons et déployons les applications informatiques, que ce soit pour l’ensemble des usines du monde, pour faire fonctionner efficacement les lignes de production, que pour le système central qui est basé sur SAP, pour toute la chaîne globale de logistique, d’achat, de vente, de facturation, de comptabilisation. De notre côté, nous sommes un site d’une extrême importance pour plusieurs raisons. La première étant la qualité du travail et la valeur ajoutée de nos ingénieurs : fruit de notre système tunisien d’éducation, mais aussi de la formation et la montée en compétence qu’on leur a fournie ainsi que les années d’expérience que les gens ont capitalisé chez nous et en proximité des usines d’automobile sur les différents continents. Par ailleurs, nous comptons plus de 20% des effectifs qui ont sept ans d’expérience ou plus, ce qui fait de FIT un vrai centre d’expertise avec de réels possibilités de former les plus jeunes et développer d’avantage l’activité. De plus, nous sommes un site très compétitif, avec des coûts très intéressants mariés à la haute performance.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos services ?
Forvia Informatique Tunisie (FIT) est composée de plusieurs équipes-projets spécialisés dans le développement de logiciels, l’assurance qualité des applications informatiques, le support produits, la gestion de l’infrastructure informatique, la Big Data, la cyber sécurité. Nous avons le centre de qualité et de test, par exemple, de toute la DSI, qui est basé exclusivement à Tunis. Il se charge de valider tous les systèmes informatiques et donner les tampons de qualité à la suite des différentes évolutions possibles de ces systèmes. Aujourd’hui, le grand défi que j’impose aux équipes, qui est d’ailleurs un challenge pour le Groupe et un challenge international, c’est l’intelligence artificielle, plus particulièrement le GenAI (Generative AI). De nos jours, les métiers de test, par exemple, sont de plus en plus concernés par l’Intelligence artificielle. Au lieu d’aller écrire des cas de test à la main et réfléchir à tester, on prend un robot, on le forme, on lui explique la fonctionnalité, comment l’application est conçue, pour qu’il puisse générer des cas de test.
Comment gérez vous ces changements majeurs au niveau de la formation des ingénieurs et comment collaborez vous avec les écoles ?
Nous avons constaté depuis des années la constante évolution des programmes des écoles tunisiennes d’ingénierie qui adaptent constamment leur cursus en fonction des tendances du marché de l’emploi. Par exemple, pour l’intelligence artificielle qui connaît récemment un essor, le sujet a été ajouté aux programmes, il y a trois ans dans les écoles en Tunisie. Cela permet aux jeunes de trouver un emploi rapidement sur un marché exigeant par rapport à ces nouvelles technologies. Nous travaillons étroitement avec de nombreuses écoles. L’Institut National des Sciences Appliquées et de Technologie (INSAT) est une des écoles phares avec qui nous collaborons. Par ailleurs, parmi les 11 Managers d’équipe, nous comptons 4 alumnis de l’INSAT. Nous pouvons également citer l’École Nationale d’Ingénieurs de Carthage (ENI), qui nous a fourni beaucoup d’ingénieurs et avec qui nous avons signé de nombreuses conventions tout comme plusieurs autres écoles publiques et privées.
Face à l’exode des cerveaux, comment FORVIA gère-t-elle cette problématique de pénurie de main-d’œuvre qualifiée ?
L’exode des cerveaux n’est pas un sujet nouveau, il a plutôt débuté pendant les années 2000. Aujourd’hui, la Tunisie ne perd peut-être pas ses talents pour les mêmes raisons. Mais la raison principale selon moi, est ce que j’appelle «une intelligence économico-politique», au niveau de l’Union européenne principalement, qui, par la fermeture des frontières via le visa, crée le désir… Les gens s’excitent par l’interdit. L’UE a également ouvert la porte aux bons ingénieurs qui sont très sollicités par les entreprises à l’étranger avec de nombreuses incitations. Donc face à cela, nous avons de nombreux jeunes, qui n’ont pratiquement jamais voyagé, qui se
construisent une idée très parfaite des pays développés et qui sont prêts à tout pour quitter le pays. De notre côté, nous sommes très fiers d’avoir gagné le pari de faire un bon chiffre de rétention de nos cadres sur les deux dernières années, après le Covid-19 et nous sommes sur des taux très maîtrisés, par rapport aux années précédentes. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, nous faisons beaucoup voyager nos jeunes, dans nos usines et nos sites de production. Nous avons commencé par les seniors et les plus anciens, puis les plus jeunes. Et ces jeunes, se rendent compte de la difficulté de la vie européenne, du pouvoir d’achat, des prix des loyers, de la qualité de vie, etc. En les faisant voyager nous leur permettons de voir les vraies conditions derrières les grandes promesses, créant ainsi une réelle prise de conscience de la difficulté de la vie européenne. Au final, l’herbe n’est pas forcément toujours plus verte ailleurs par rapport à ce qu’on a ici. Bien entendu, à côté de cela, nous avons grandement amélioré les avantages, au niveau de l’entreprise, dans la mesure de ce qu’on peut faire au niveau du Groupe.
Comment s’est déroulée l’année 2023 et quelles sont les nouveautés de 2024 pour FORVIA ?
Déjà, nous considérons l’année 2023, comme une année importante car nous avons réussi à mettre en place toute une équipe de Big Data, autour de la plateforme Palantir qui regroupe toutes les données et informations de tous les systèmes, ce qui nous permet de gagner énormément de temps. Pour 2024, nous misons sur la cyber sécurité qui englobe trois cercles : la veille stratégique, (comment être préparé à tout type d’attaque, quel type d’attaque il pourrait y avoir, quel type de défense), la sécurité opérationnelle sur toutes les opérations qu’on a, tous les accès, et enfin l’audit. Actuellement, nous avons des équipes de France, d’Allemagne et du Portugal et nous sommes en train de monter toute une équipe en Tunisie, des profils pas faciles à trouver. C’est tout un métier aujourd’hui très poussé et le grand défi est d’arriver à recruter dans le domaine une dizaine de profils. Par ailleurs, nous sommes actuellement 210 personnes et notre ambition dans les quatre prochaines années est de nous développer davantage. Pour ma part, je viens de soumettre la vision 2024-2027 pour le site, avec pour objectif d’être encore mieux positionné comme un acteur majeur et principal non seulement sur le GIT (la DSI), mais aussi au niveau de tout le Groupe pour accompagner aussi des R&D d’autres BG (Business Group). Au niveau local, on ambitionne d’être un acteur IT des plus connus et des plus sollicités dans le marché du travail informatique en Tunisie. Nous sommes aujourd’hui un site encore plus visible, parce que nous misons sur la technologie et la digitalisation qui sont la solution pour l’efficacité et la compétitivité de la chaîne de production de tout le Groupe et dans l’industrie en général.
Articles similaires:
Accompany Consulting : la qualité s’allie à l’engagement ! 
Nabil Youssef :«Notre point fort réside dans nos ressources humaines.» 
Amel Saidane :« Betacube a l’intention de développer des stars de l’innovation et du business numérique qui puissent s’exporter en Europe ou en Afrique.» 
Tunisie : Entre morosité et espérance, les rétrospective et perspectives de MAC SA
