Elyssa Msadaa : «Être mère n’est pas un obstacle, c’est une force !»

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Être mère, c’est un emploi à plein temps. Pour être plus correcte, être mère équivaut à faire 2,5 emplois. Nous sommes donc loin des 48 heures habituelles, il s’agit ici d’un rythme effréné dépassant 100 heures par semaine, selon une étude américaine. Malgré une vie bien chargée, ces femmes que l’on surnomme «Mompreneurs», bouleversent aujourd’hui le monde des affaires en Tunisie et se hissent au sommet.

A l’occasion de la fête des mères, Entreprises Magazine, rend hommage à ces femmes qui ont su allier vie de famille et vie professionnelle.

Nous rencontrons Elyssa Aounallah ep. Msadaa, Directrice et co-fondatrice de TALYS. Elle est à la tête d’un groupe d’entreprises technologique spécialisé en Organisation, Systèmes d’Information et Transformation Digitale. Aujourd’hui, son entreprise se positionne en tant qu’acteur majeur dans le secteur financier et étend son périmètre d’actions sur 3 régions (Afrique, Europe et Moyen-Orient).

Qui est Elyssa Aounallah Msadaa, cheffe d’entreprise et mère de deux enfants ?

Je suis ingénieur de formation, après avoir acquis plus de 10 ans d’expérience dans des cabinets internationaux de consulting, j’ai cofondé en 2006, le cabinet Talys avec mon conjoint.

Lorsque nous avons décidé notre retour définitif en Tunisie, nous vivions à l’époque en France et, j’étais déjà mère de mes deux enfants. Ma fille avait 5 ans et mon fils avait 1 an et cela ne m’a pas empêché de réaliser mon rêve qui était de revenir en Tunisie dans un objectif de me mettre à mon propre compte. Nous sommes donc revenus en Tunisie et, pour ancrer ce retour et le pérenniser, nous avons fondé Talys.

Fonder une entreprise alors que l’on a deux enfants en bas âge est un défi difficile ?

Talys c’était un peu notre troisième enfant, le développement d’une entreprise demande beaucoup de temps et d’énergie. Pour pouvoir créer cette entreprise, j’ai développé un écosystème que j’appelle affectueusement «mes alliés», qui sont la famille, les amis ou toute personne bienveillante sur qui je pouvais compter. Ils m’ont permis de déléguer une bonne partie de ce que doit faire une mère. Donc finalement, même si mes enfants n’ont pas énormément passé de temps avec leurs parents, tous les deux entrepreneurs, ils ont développé des liens très forts avec leurs grands-parents, qui leur ont transmis énormément de choses, ce qui a été bénéfique pour les deux parties.

Depuis l’enfance, mes enfants baignent dans cet environnement entrepreneurial, car nous parlons souvent de notre projet à la maison.

En grandissant, ils ont vite réalisé qu’ils n’avaient pas la même vie que d’autres enfants ou adolescents de leurs âges. Ils étaient plus indépendants de leurs parents puisque nous travaillions ‘H24’ comme ils aiment le dire.

C’est loin d’être un point négatif contrairement à ce que l’on pourrait penser. Notre carrière a beaucoup influencé nos enfants qui ont été plus autonomes que la majorité des jeunes de leurs âges, ils ont développé une conscience professionnelle et sont aujourd’hui très engagés.

Mon fils Rassene qui poursuit des études dans le domaine de l’informatique est extrêmement fier de ce que nous avons construit, notre parcours est pour lui une source d’inspiration. Quant à ma fille Sinda qui est dans le domaine de l’environnement et de l’énergie, elle a hérité de ce besoin de faire changer les choses, c’est d’ailleurs une fervente défenseuse de l’environnement et des droits de la femme. Pour elle, les femmes sont capables de bien se réaliser professionnellement à condition qu’on ne les bride pas et que la société évolue en cassant les stéréotypes.

Je suis également particulièrement émue de voir que j’ai pu leur transmettre cet amour pour la Tunisie et de voir qu’ils projettent de faire de grandes choses pour leur pays.

Comment avez-vous managé la création de votre entreprise et son développement ?

Créer une entreprise est un vrai challenge. Les personnes de notre entourage sont à majorité des enseignants et des fonctionnaires. Ils ne comprenaient pas, à l’époque, ce désir d’entreprendre avec tous les risques qui en découlent. Donc, avant de vendre son idée au marché, on a dû la vendre à notre entourage familial, en expliquant nos motivations et aussi en rassurant nos proches sur la maîtrise des risques auxquels on ferait face.

Pour réussir, il est vraiment important de savoir compter sur les autres. Comme je viens de l’évoquer, sans mes «alliés», ces personnes qui ont cru en moi, cette aventure aurait été bien différente. Il est également important d’être diplomate, de savoir faire face aux conflits pour les résoudre et maintenir ce tissu d’entraide qui permet à une femme et une mère de réussir, car on ne réussit jamais seul !

Comment être mère a impacté votre façon de diriger l’entreprise ?

Je dirais qu’étant mère, mais avant tout une femme, je suis amenée à être plus indulgente envers mes collaborateurs et collaboratrices sur le volet flexibilité du temps de travail sachant que notre métier dans le consulting est extrêmement exigent notamment aux niveaux qualité et disponibilité. Notre équipe, qui est très diversifiée, compte par ailleurs plus de femmes que d’hommes. C’est triste à dire, mais nous vivons dans une société où la mère est plus présente que le père dans la vie d’un enfant. C’est la mère qui se charge de la santé de son enfant, des urgences à l’école, de la garde à domicile si besoin… Je ne peux donc qu’être compréhensive face à cette situation. Nous proposons par exemple le télétravail et une certaine souplesse dans les horaires afin que la consultante trouve un certain équilibre. La pandémie a permis d’introduire le télétravail dans la culture des entreprises et je l’ai généralisé au sein de mes équipes avec 1 jour de télétravail par semaine.  Une mère ne peut pas donner le meilleur d’elle-même dans la durée si elle ne trouve pas son propre équilibre.

Dans le cadre de votre travail, vous avez été amenée à voyager. Comment avez-vous géré cela ?

Tout à fait, puisque nous avons développé le conseil en Tunisie et en 2015 nous avons commencé l’export en Afrique subsaharienne. Ce marché est notre cheval de bataille, nous avons énormément d’expertise exportable et très appréciée sur le marché africain. C’est pour cela que dès que nous avons commencé à avoir des missions à l’étranger, je me devais de me rendre sur place afin de construire cette relation de confiance avec mes clients, sécuriser la production et acquérir des références gagnantes qui faciliteraient l’acquisition de nouveaux clients.

J’ai donc voyagé à maintes reprises en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Mauritanie et au Mali. J’ai eu la chance de commencer ces déplacements lorsque mes enfants étaient au secondaire. Cela rendait les déplacements plus faciles.

Avec mes enfants, j’ai plus privilégié la qualité sur la quantité en partageant des moments forts et intenses qui seront précieux et resteront gravés à jamais.

Quels sont les avantages et les inconvénients de travailler avec son conjoint ?

C’était une décision que nous avons prise ensemble pour pérenniser notre retour en Tunisie. J’ai toujours rêvé d’ouvrir ma propre entreprise, même en tant qu’indépendante, mais le choix de nous associer était un choix stratégique. Nous avons pu unir nos compétences et nos expériences. Au démarrage, J’ai pris en charge le consulting sur les aspects fonctionnels et mon conjoint ceux sur les aspects techniques. Nos périmètres ont toujours été complètement distincts mais totalement complémentaires.

Ce qui est le plus difficile, c’est que la vie professionnelle est partie prenante de notre vie personnelle. Le travail occupe une très grande partie de nos vies, nos discussions, nos weekends. Cela demande beaucoup d’efforts afin de fixer des limites à la vie professionnelle mais c’est nécessaire.

Quel stéréotype souhaiteriez vous briser concernant les mères et cheffes d’entreprises en Tunisie ?

Être mère n’est pas un obstacle. J’ai beaucoup d’estime pour les femmes, particulièrement pour les femmes tunisiennes et j’aimerais leur dire qu’il est possible de réaliser nos projets et nos rêves car il n’y a pas une seule façon d’élever nos enfants.

Les enfants n’ont pas les mêmes besoins et chaque enfant est unique. Les femmes et notamment les mères ont souvent tendance à culpabiliser et pour certaines, elles sont animées par la peur de rater l’éduction de leurs enfants… C’est probablement aussi le poids de la société.

Une mère qui a un projet professionnel et qui souhaiterait se lancer dans l’entreprenariat, devrait choisir le bon moment de sa vie, de prendre conscience de ses compétences qui sont ses atouts et de bien identifier ses «alliés». J’encourage toutes les femmes tunisiennes qui ont l’énergie à se lancer dans l’expérience entrepreneuriale, de le faire sans regrets. Pour ma part, je ne regrette rien.

Le message que j’aimerai faire passer est que l’on peut faire beaucoup de choses en Tunisie. A une époque où tous nos jeunes talents émigrent, moi j’ai une tout autre conviction, je pense que quand on veut entreprendre, on peut le faire avant tout dans son pays où il y a encore beaucoup de choses à faire !

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