Dr.Holger Dix :«La Tunisie exprime un intérêt particulier pour notre engagement.»

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Dr.Holger Dix, Représentant Résident de la Konrad-Adenauer-Stiftung, Tunisie-Algérie

Entretien avec Dr.Holger Dix, Représentant Résident de la Konrad-Adenauer-Stiftung, Tunisie-Algérie.

En 2019 et lors de sa visite en Tunisie, Norbert Lammert Le président de  Konrad-Adenauer-Stiftung  déclarait « La Tunisie est le seul pays du monde islamique à nous offrir des conditions favorables pour travailler et coopérer » : est-ce que selon vous cette prise de position  conserve toujours la même valeur ? 

À travers son affirmation que la Tunisie est le pays qui nous offre le meilleur cadre de travail dans le monde islamique, le président de la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) a surtout voulu insister sur l’importance que revêt la Tunisie pour notre institution de manière générale, mais plus particulièrement aussi parce qu’il s’agit d’un pays de culture islamique qui a eu le courage de s’engager sur la voie d’une transition démocratique et qui dispose des capacités pour la réussir. La KAS est également active dans d’autres pays musulmans et y travaille efficacement. Mais ce qui distingue la Tunisie, c’est le fait qu’elle exprime un intérêt particulier pour notre engagement, ce qui se manifeste notamment par le soutien très actif que nous apporte l’État tunisien. Ainsi, nous collaborons avec plusieurs institutions étatiques comme des ministères et d’autres institutions publiques avec lesquels nous entretenons des liens de confiance étroits. C’est d’ailleurs pour cette raison que la KAS a fait le choix en 2019 d’acquérir un bâtiment pour y installer ses nouveaux locaux plutôt que d’en louer un, ce qui est un fait assez rare pour notre organisation. Cette décision souligne la volonté de la KAS de poursuivre le partenariat avec la Tunisie sur le long terme.

Il est vrai que le pays a connu quelques turbulences au niveau politique depuis l’inauguration de notre nouveau bureau, mais l’affirmation de monsieur Lammert a gardé toute son actualité. Indépendamment de la situation en Tunisie, je tiens à préciser que la KAS ne s’engage pas seulement dans un pays quand les circonstances sont positives et elle ne se retire pas non plus dès que le vent tourne. De par notre expérience dans plus de 120 pays dans le monde et notamment dans les jeunes démocraties comme la Tunisie, nous sommes parfaitement conscients que les transitions politiques se déroulent rarement sans à-coups et que ces processus sont souvent émaillés de phases de pause et parfois même de revers. 

Dans la phase difficile que traverse le pays actuellement, la Tunisie doit retrouver son courage pour poursuivre la voie du processus de démocratisation qu’elle a entamée en 2011. Car comme l’a si bien dit Saint Augustin : « Une partie du chemin est déjà parcourue, une autre te reste à parcourir. Si tu t’arrêtes, ce n’est que pour retrouver des forces, mais jamais pour abandonner. » Mettre cela en pratique dépendra beaucoup de la capacité des acteurs à profiter des instruments de prise de décisions et des moyens d’action qu’offre la démocratie représentative dans l’objectif d’améliorer l’efficacité de ce même système politique. Cela dit, nous constatons un certain manque de repères de la société quant aux valeurs qui sous-tendent les décisions politiques – ce que certains traduisent par l’absence de vision pour le pays. 

En Tunisie la Fondation Konrad a toujours privilégié  d’œuvrer en étroite synergie avec des acteurs clés de l’écosystème local comme le CJD, Ennactus, la Chambre Nationale des femmes cheffes d’entreprises, ou encore l’ITES. Quel bilan tirez-vous de cette coopération ? 

La coopération avec les partenaires que vous venez de nommer est très fructueuse ; ce qui vaut d’ailleurs également pour nos autres partenaires comme l’ARFORGHE, le Forum de l’Académie politique, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le ministère de l’éducation ou certaines communes, pour ne citer que quelques exemples. À la KAS, nous avons la conviction que la collaboration avec nos partenaires tunisiens est la clé de voûte pour atteindre nos objectifs ; et c’est pourquoi le développement des capacités de nos partenaires nous tient particulièrement à cœur. C’est toujours une grande joie pour nous lorsqu’un partenaire est par exemple invité à l’ARP pour donner son avis sur le projet de loi des finances, ou lorsqu’une étude stratégique élaborée avec l’appui de la KAS est présentée au président de la République. Par ailleurs, nous avons le sentiment que les partenaires ont une très grande confiance envers la KAS et qu’ils savent parfaitement ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas attendre de nous. Pour moi, cette confiance mutuelle est le résultat de notre démarche transparente en Tunisie où les partenaires connaissent notre motivation, nos valeurs, nos forces et faiblesses, et vice-versa.

Fort étonnement c’est en  pleine pandémie du COVID 19 que la machine Konrad Tunisie a le plus fonctionné  et notamment en partenariat avec la société civile ? 

Nous avons effectivement essayé de poursuivre notre travail pendant la pandémie dans le strict respect des mesures sanitaires et des consignes gouvernementales. Là où ce n’était pas possible, nous avons opté pour des formats digitaux. Cela n’empêche que nous avons également été contraints d’annuler de nombreux événements et que la « machine KAS » tourne à régime réduit pour le moment : pour limiter le nombre de contacts, environ la moitié de nos employés sont en télétravail. 

Pendant cette phase difficile, notre motivation a toujours été guidée par la volonté de soutenir les acteurs tunisiens dans leurs efforts à surmonter la crise à travers un renforcement de leur engagement, de leur capacités d’action et en leur donnant l’espoir nécessaire pour persévérer. Tous ces ingrédients sont à mon sens indispensables pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés à l’heure actuelle. 

Nous essayons également de profiter de la situation et des contraintes imposées pour expérimenter de nouveaux instruments dans le domaine de la promotion de la démocratie. Ainsi, nous avons mis en place plusieurs plateformes digitales comme par exemple celle de notre partenaire Chnowa Barnemjek à travers laquelle les citoyens peuvent suivre en temps réel la réalisation des promesses électorales du président de la République et du chef du gouvernement ainsi que communiquer directement avec les députés de l’ARP. 

10 ans après la révolution quel regard portez-vous sur la Tunisie, démocratie, politique, économie, média ?

La Tunisie est passée par une décennie mouvementée depuis la transition politique. Le régime démocratique a été mis sous pression avant même qu’il ne puisse développer une résilience contre les crises internes et externes. Les répercussions catastrophiques des attaques terroristes sur le secteur vital du tourisme, la guerre chez le voisin libyen qui sévit depuis déjà presque dix ans, l’influence grandissante des États autoritaires dans la région et dernièrement la pandémie sont autant de pierres d’achoppement qui jalonnent le processus de transition démocratique. 

Le récit de l’histoire politique récente de la Tunisie peut être raconté de deux manières, en fonction de la perspective qu’on adopte : on pourrait y voir une expérience en voie de réussite, mais non-aboutie, tout comme on pourrait y voir le début de la démonstration de l’échec de l’expérience démocratique. L’instabilité politique, un certain malaise face aux nouvelles libertés, un sens de la responsabilité parfois insuffisant au sein de la politique et de la société ainsi qu’un sentiment de frustration de la part des citoyens vis-à-vis de l’incapacité perçue de la politique à apporter des solutions viables aux nombreux problèmes du pays sont quelques éléments qui ternissent le bilan actuel. En revanche, la tenue de plusieurs élections présidentielles et législatives répondant aux exigences démocratiques, l’adoption d’une constitution démocratique en 2014, une société civile dynamique soucieuse de protéger les acquis de la démocratie ainsi qu’une presse libre sont sans aucun doute des éléments qui témoignent de la réussite de l’expérience tunisienne. 

Ce qui est sûr, c’est que la Tunisie reste une référence importante dans la région de par son développement culturel, religieux et démocratique. La poursuite et la réussite de la transition démocratique serait un signal fort et encouragerait les partisans de la démocratie dans d’autres pays qui ne se sont pas encore engagés sur cette voie où qui n’ont pas encore réussi à mener à bien le processus. Un échec de l’expérience tunisienne, cependant, renforcerait les forces antidémocratiques et pourrait donner raison aux sceptiques qui ne croient pas dans la possibilité de la viabilité de la démocratie dans le monde arabe. 

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