Blockchain et règles de droit existantes

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Maître Aslan Berjeb

L’ambition de cette initiative est de contribuer aux réflexions et travaux, en cours, au niveau mondial sur la Blockchain, pour proposer dans une approche régionale une nouvelle grille d’analyse et de compréhension de cette technologie. Il s’agit, également, de sensibiliser sur la nécessité d’en comprendre les tenants et aboutissants afin d’en appréhender les risques et opportunités pour une mise en œuvre opérationnelle.

Cette initiative s’appuie sur une approche multidimensionnelle qui permettra d’identifier les défis, les enjeux et les applicatifs potentiels de la Blockchain sur la finance africaine et la Région MENA.

L’histoire de la Blockchain

Le déploiement de la technologie liée à la Blockchain suscite un intérêt de plus en plus marqué dans le monde financier compte tenu de ses nombreuses applications possibles, aussi bien dans le domaine bancaire, financier, assurance que des marchés financiers. La réduction des coûts dans l’utilisation de ces nouvelles infrastructures, mais aussi la suppression du papier dans le traitement de nombreuses opérations et leur archivage, ainsi qu’une sécurité accrue dans le traitement des opérations apparaissent comme les principaux bénéfices liés à cette nouvelle technologie.

Parallèlement à ces nouveaux usages, l’apparition d’unités de valeur communément appelée crypto-monnaies et l’augmentation rapide de leur valorisation constitue un nouveau champ de réflexion pour les régulateurs et les banques centrales.

De fait, ces «crypto-monnaies» suscitent inquiétude, méfiance, doute, voire aversion de la part de nombreux acteurs. Les pouvoirs publics, les autorités de régulation, les banques centrales de nombreux pays se sont peu-à-peu intéressés à ces nouveaux actifs digitaux, dans un premier temps pour en souligner les dangers et les limites afin de préciser d’une part, qu’il ne s’agissait pas de monnaie légale et d’autre part, que l’investissement dans ces actifs présentaient de nombreux risques.

Pour comprendre la technologie Blockchain, il faut tout d’abord se rappeler qu’elle n’a pas directement été conçue pour elle-même : à l’origine, cette technologie n’était qu’un aspect du protocole Bitcoin. Ainsi, dès son origine, Bitcoin et Blockchain sont intrinsèquement liés.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de la technologie elle-même ou de ces crypto-actifs, il est difficile pour une banque centrale et un superviseur bancaire de ne pas s’y intéresser.

De nombreuses questions se posent naturellement à toute banque centrale ou superviseur bancaire face à l’émergence de cette nouvelle technologie.

Des questions d’ordre monétaire, bien sûr (l’impact de ces «crypto-monnaies» sur la politique monétaire des Etats), mais aussi des questions d’ordre économique (en quoi cette technologie va-t-elle modifier en profondeur les business model des acteurs existants ?) prudentiel (comment traiter ces actifs digitaux en matière de risque ?), réglementaire (l’encadrement ou non des usages de cette technologie), police (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme), juridique (nature de ces nouveaux actifs et responsabilité des acteurs).

Bref, toute une série de questions qu’il convient pour une banque centrale ou un superviseur bancaire de se poser, même si les réponses sont encore souvent provisoires.

Blockchain et droit

Dans quelle mesure la technologie Blockchain ne vient-elle pas modifier les règles de droit existantes compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment le caractère ineffaçable et inaltérable des informations y figurant, mais aussi les questions de preuve ou de propriété.

Chaque législateur, banque centrale ou superviseur doit procéder à une évaluation de son cadre juridique et réglementaire afin de vérifier si, en fonction de tel ou tel projet, il convient d’adapter cet environnement, voire créer un nouveau régime particulier.

Chaque Etat doit ainsi procéder à une évaluation de son cadre juridique pour mesurer les écarts existants entre celui-ci et les attentes liés à l’utilisation de cette technologie.

Prenons l’exemple d’un cadastre foncier dont les informations sont enregistrées dans la blockchain. Pour donner plein effet juridique à ces informations figurant dans les chaines de blocs, il convient préalablement de vérifier les lois relatives aux registres fonciers et au régime des hypothèques. C’est donc le plus souvent au cas par cas qu’un Etat décide de reconnaître les effets de la Blockchain ; non pas pour toutes ses applications, mais pour des usages particuliers : circulations d’instruments financiers, signature électronique, preuve électronique, smart contract

Si les initiatives gouvernementales en la matière sont plutôt rares, on peut toutefois relever quelques cas intéressants.

Ainsi, aux Etats Unis d’Amérique, plusieurs Etats ont adopté ou sont sur le point d’adopter des législations reconnaissant les effets de la Blockchain : Hawaï (crypto-monnaies), Arizona et Californie (signature électronique), Nevada, Tennessee et New Hampshire (smart contract), Delaware (registre des titres des sociétés).

En Europe, la France fait figure de pionner avec deux lois (2016 et 2017) venant donner légale reconnaissance à l’utilisation de la Blockchain en matière d’émission et de circulation de titres de dette sous forme de bons de caisse, mais aussi de titres de sociétés non cotées.

Plusieurs branches du droit peuvent être affectées par la technologie Blockchain. Signalons, de façon non exhaustive, les situations suivantes :

Cas de la protection des données : la Blockchain étant définie comme un registre d’opérations infalsifiable, distribué, vérifiable par tous et reposant sur un consensus, il en résulte que les opérations enregistrées dans une Blockchain ont vocation à être inaltérables et donc ineffaçables. S’il est possible d’«annuler» une opération en passant une opération opposée, il n’est pas possible d’effacer une opération. Plusieurs Etats disposent de règles relatives à la protection des données personnelles et la vie privée.  Parfois même, ces législations mettent en place un véritable «droit à l’oubli», comme dans l’Union européenne. Lorsque ces législations ont été mises en place avant l’introduction de la technologie Blockchain, elles n’ont pas pu intégrer les spécificités de celles-ci. D’où parfois de véritables difficultés, comme au sein de l’UE avec le Règlement de protection de données personnelles.

Cas de la signature électronique : les caractéristiques de la Blockchain en font une technologie particulièrement adaptée pour les signatures électroniques permettant d’intégrer au sein de chaque document numérique une preuve d’intégrité et une preuve de l’identité de l’émetteur.

De nombreux pays ont légiféré depuis de nombreuses années pour introduire la signature électronique à côté de la signature olographe. Mais la reconnaissance de ces signatures passe généralement par la présence d’un «tiers de confiance» émettant un «certificat d’authentification».

Alors que les technologies de signature numérique traditionnelles tournent sur un serveur centralisé, ce que l’on appelle « l’autorité de certification », en recourant à la blockchain, c’est la signature elle-même qui est insérée dans une chaine de blocs : l’utilisateur crée une signature numérique, qui peut être utilisée (immédiatement) pour signer n’importe quel contrat. La signature et une référence unique au contrat (appelée « hash ») sont placées sur la chaîne de blocs, où elles peuvent être consultées par tout le monde, à tout moment.

Il convient donc d’évaluer les lois et règlement en vigueur afin de vérifier si la signature électronique via la Blockchain peut être considérée comme une signature valide au sens de cette réglementation.

Aux Etats Unis d’Amérique, le Federal Electronic Signatures in Global and National Commerce Act (ESIGN Act) et l’Uniform Electronic Transactions Act (UETA) constituent les bases légales en vigueur aux termes desquelles il convient d’apprécier la technologie Blockchain en matière de signature et de smart contract.

Cas du droit de la preuve : le caractère infalsifiable de la Blockchain et la possibilité de disposer de tout l’historique de transaction en font des outils techniques précieux en matière de droit de la preuve en prévoyant un enregistrement de provenance immuable où les données ne peuvent être détruites ou falsifiées. Mais le recours à cette technologie devant les tribunaux dépend le plus souvent des règles probatoires prévues par les procédures civiles et commerciales, lesquelles établissent les conditions dans lesquelles les parties peuvent apporter les preuves de leurs différents devant un juge. Même en matière pénale le recours à la Blockchain comme technologie probatoire peut être envisagée. Là encore, il convient de procéder à une évaluation des règles existantes pour déterminer s’il convient ou non de les modifier en intégrant la preuve électronique, voire pour reconnaitre aux actes enregistrés dans la Blockchain la même force qu’un acte authentique passé devant notaire.

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